Élection présidentielle taïwanaise : quel avenir pour les relations sino-taïwanaises ?
- Le Polémique
- 1 févr. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov. 2024

Par Lino Juhel.
Être reconnue comme la Chine éternelle. Voilà le combat que mène l’île de Taïwan depuis plus de 50 ans. L’obstacle se dressant devant elle est de taille : la République populaire de Chine. Qui plus est, Taïwan fait face à un refus catégorique de toute reconnaissance de la part des grandes démocraties occidentales depuis les années 1970. Spectatrice de ce combat entre David et Goliath, la communauté internationale, n’ose réellement prendre parti par peur de froisser Xi Jinping mais ne veut pas non plus paraître antidémocratique lorsqu’il s’agit de prendre du recul sur la relation de domination entre Pékin et Taïpei. Cependant, le nouveau colistier de l’île, Lai Ching-Te, élu du Democratic Progressive Party (DPP), et ayant récolté plus de 40% des suffrages (≈ 5,5 millions de votes) à la dernière élection présidentielle ce 13 janvier 2024, voit le futur d’un œil novateur.
À la veille de l’élection, la Chine avait explicitement fait entendre que « l’armée populaire de libération de Chine […] prendrai toutes les mesures nécessaires pour écraser fermement les tentatives d’indépendance de Taïwan ». Lai Ching-Te, pour sa part, n’a pas non plus mâcher ses mots puisque l’idée principale de son premier discours en tant que président nouvellement élu était une protection sans faille de l’île face aux « menaces et intimidations continuelles de la Chine ». Cette nomination montre, en effet, la volonté populaire extrêmement déterminée pour obtenir son indépendance, illustrée notamment par la différence conséquente avec le candidat pro-Chine de cette présidentielle qui n’a obtenu que 33,5 % des suffrages. Ce vote était, de plus, suivi de tout côté de la planète. Que ce soit avec Pékin qui essayait d’influencer les électeurs en les conviant à « faire le bon choix », en faisant planer des avions de chasses au-dessus de Pingtan (à quelques 390 kilomètres de Taipei) et en bloquant l’hashtag « Élection à Taïwan » sur les réseaux sociaux chinois, ou Washington qui, par l’intermédiaire de son Secrétaire aux Affaires Étrangères, Anthony Blinken, félicita les taïwanais.es pour leur solide système démocratique. Ce soutien reste à nuancer puisque le résident du Bureau Ovale a assuré que les États-Unis « ne soutiennent pas l’indépendance ». Le très récent Ministre des Affaires Étrangères britannique, David Cameron, déjà connu pour son implication dans les relations sino-taïwanaises, a appelé les deux belligérants asiatiques à « résoudre leurs différends de manière pacifique » tout en félicitant Lai Ching-Te. De manière plus proche géographiquement, le Japon, lui, s’est engagé à approfondir la coopération officieuse entre Tokyo et Taïwan à la suite de ce « bon déroulement des élections démocratiques ». En ce qui a trait à la réaction de l'Union européenne (UE), Bruxelles a salué d’un grand coup de chapeau démocratique le résultat favorable à Lai Ching-Te. En effet, dans une recherche continuelle de la paix dans le détroit de Taïwan, l’UE qui reste opposée à toute action unilatérale pour modifier le statu quo se trouve enchantée qu’un nouveau leader démocratique prenne place pour apaiser les tensions en usant de diplomatie et de rationalité. Aussi, un mouvement favorable à Taïwan traverse les eurodéputés depuis quelque temps, ajoutant au blocage des relations sino-européennes depuis la Covid, mais contrastant avec la peur d’offenser le premier partenaire commercial de l’Europe.
La réaction que nous attendions tous reste bien évidemment celle de la République populaire de Chine. Cette dernière a choisi une prise de position réaliste en ne contestant pas les résultats de l’élection et n’a pas encore réellement fait de déclarations impactantes, dans un souci d’éviter un conflit armé face à un nouveau président déterminé à faire ses preuves. En outre, les déclarations chinoises pré-élections qualifiant Lai de « grave danger » sont un aperçu de ce qui pourrait devenir une escalade de violence si Lai poursuit le travail de la présidente sortante en accentuant les relations avec Washington. Les quelques frictions post-élections en sont déjà une illustration avec Pékin s’opposant fermement à tout contact officiel entre Taïwan et les États-Unis alors que les remerciements de Lai envers ces derniers pour leur soutien venaient à peine d’être prononcés.
D’un autre côté, alors que la quasi-totalité des démocraties du Nord global félicite Lai Ching-Te pour son élection, Nauru, proche géographiquement des Îles Marshall, coupe ses liens diplomatiques avec Taipei alors que cette île était l’un des seuls états à reconnaître Taïwan comme légitime à être considérée comme indépendante. Habituée dans le passé à rester le plus neutre possible dans les relations sino-taïwanaises, Nauru, île de 11 000 habitants, a finalement reconnu la politique d’une seule Chine de la République populaire de Chine. Mais alors pourquoi un tel revirement de position ? Et bien Nauru ne s’est pas tant exprimée que cela et a simplement assuré prendre une décision pareille « pour défendre ses propres intérêts ». Libre alors à chacun de se forger son opinion. C’est d’ailleurs ce que fera la Chine, en assurant que cette décision fait suite à la pression médiatique trop forte autour des élections de Lai, et Taïwan qui expliquera que cette prise de position surprise provient du refus de la part de Taipei de fournir à Nauru « d’importantes sommes d’argents ». Ainsi, les réactions à travers le monde suivant cette élection sont teintées d’amertume pour une minorité de pays conflictuels face à Taïwan, mais la majorité de la communauté internationale reste globalement dans un état de réjouissance à la suite de ce résultat.
Il est évident que la trajectoire des relations entre Taïwan et la Chine sera influencée par les travaux à venir de Lai Ching-Te. De plus, s’il continue sur le chemin de la présidente sortante avec l’UE ou avec Washington, Lai engendrera des réactions imprévisibles de Xi Jinping. Alors enfin, il est primordial de se questionner sur l’évolution de la reconnaissance de Taïwan en tant que « Chine éternelle » au sein des institutions comme l’ONU.
Crédit Photo : Yasuyoshi Chiba - AFP - Getty Images
Sources :