Violence à travers les écrans: les agresseurs se cachent, les femmes subissent
- Le Polémique
- 20 nov. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 avr. 2023
Par Zoé Decros

Cyberharcèlement, harcèlement sexuel en ligne, insultes gratuites… Les agresseurs machistes ne cessent de nous surprendre.
Dans cette nouvelle ère du numérique, il est souvent impossible pour les victimes de mettre un visage sur leur agresseur-e, sur les insultes, et le harcèlement qu’il-elles subissent. Ainsi, le coût social et psychologique s’alourdit.
Le cyberharcèlement, consiste à « intimider, menacer et à contraindre des personnes en ligne via des réseaux sociaux, ou tout autre moyen de communication numérique ou électronique ». C'est une nouvelle forme de violence sexiste numérique qui, en raison de sa nouveauté, semble ne pas être prise suffisamment en considération par les autorités policières et gouvernementales. De plus, bien que le mouvement #Metoo en 2015 ait permis une libération de la parole concernant les agressions sexuelles et le harcèlement moral et psychologique. cette violence numérique reste encore un sujet tabou au sein des établissements scolaires, universitaires et professionnels.
À cela peut s’ajouter la multiplication des réseaux sociaux et leur facilité d’accès par tous.tes dès le plus jeune âge. Cette génération Z, qui grandit avec un téléphone entre les mains, peine à combattre un fléau plus grand qu’elle : celui d’une haine systémique envers des internautes innocents-es. À travers leurs écrans, les agresseurs-es n’ont plus de limites ni de gêne imposée, parfois a minima, par la société civile dans la réalité physique. Les internautes deviennent des âmes insensibles qui ne disposent pas d’identité propre, donc d’émotions. Pourtant, la réalité numérique rejoint celle physique lorsque les victimes témoignent, ou dans le cas extrêmes mettent fin à leurs vies en raison du poids psychologique engendré par la haine reçue.
Tout comme les violences sexuelles, la pandémie a entraîné une vague de haine sur le net envers toutes les personnes marginalisées de la société. Les insultes de toutes natures (xénophobes, racistes, d’ordre sexuel et machiste) se sont multipliées sur internet. Peu contrôlées par les autorités gouvernementales et les différentes plateformes numériques, elles ont permis au patriarcat de s’installer durablement dans ce nouvel espace numérique pour y défouler sa haine contre les femmes et personnes racisées, les personnes appartenant à d'autres minorités, etc., sans ne prendre aucun risque. Car après tout, selon la police québécoise ou/et française , ce ne sont souvent « que des messages pas très sympathiques ».
Par ailleurs, ce qu’il faut remarquer dans ce nouveau phénomène, c'est qu'encore une fois, les femmes se trouvent à être les premières cibles, notamment les femmes racisées et provenant de cultures étrangères, ainsi que les jeunes qui sont les moins sensibilisés par rapport à ce type de violence numérique.
Selon un rapport publié par Forbes en 2020, 60% des femmes âgées de 15 à 25 ans ont déjà été victimes de cyberharcèlement et 39% déclarent avoir été menacées de violences sexuelles en ligne.
“Sale pute”, “T’es qu’une merde”, “ Grosse salope”, “Les femmes doivent rester à la maison”, “ Retourne d’où tu viens”: c’est le quotidien de plusieurs milliers de femmes et jeunes filles chaque jour. Ce phénomène grandissant, Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist ont décidé en 2015 de briser les tabous et se de lancer dans la réalisation d'un long métrage : Je vous salue Salope.
JE VOUS SALUE SALOPE: UNE IMMERSION DANS CE “VORTEX MISOGYNE”.
La lumière s’éteint, les premières insultes s’affichent à l’écran, et l’immersion commence. On plonge totalement dans le quotidien de femmes fortes qui subissent du cyberharcèlement. Laura Boldrini, l’ex-présidente du parlement italien, la comédienne et youtubeuse française Marion Séclin, l'ex-représentante, démocrate américaine, Kiah Morris ainsi que Laurence Gratton, Québécoise qui désire devenir professeure sont présentées dans ce long métrage comme des combattantes, mais également comme des victimes du fléau grandissant des violences sexistes et sexuelles en ligne.
Ce voyage cinématographique permet au public de comprendre l’enjeu concernant l’impact des violences sexuelles et sexistes numériques sur les victimes. De Rome à Vancouver, en passant par l’état du Vermont aux État-Unis, ce cyberharcèlement semble prendre partout la même forme et suivre même processus ou cheminement.
La multiplication de messages haineux portant atteinte au physique ou au comportement, les images pornographiques envoyées sans consentement, ou bien les vidéos portant atteinte à la dignité humaine et sociale d’une personne: voilà ce que nous partagent les femmes interviewées dans ce documentaire.
Plongé dans l’histoire de ces femmes, l'auditoire comprend que les violences numériques ne s’arrêtent pas que derrière l’écran. Paranoïa, dépression, exclusion sociale, menaces de mort sont au centre des 40 000 messages d’harcèlement que nous présentent Laurence et Marion Seclin. La réalité numérique rejoint sans aucun doute la réalité physique pour ces milliers de femmes qui subissent ce genre de comportements diffamatoires. Cette nouvelle forme de violence accentue le patriarcat inscrit dans notre société, car elle incite encore une fois et encore plus fortement aux femmes de s’exclure malgré elles de la scène publique.
La masculinité toxique semble ne pas tolérer la place plus grandissante des femmes dans l’espace public, et particulièrement dans la politique. La recherche de l’égalité et de l’inclusion des femmes dans certains secteurs d’activités professionnelles depuis le mouvement #meetoo en 2015 semble exaspérer certains hommes qui se « sentent en danger » par un « soi-disant » matriarcat contraignant, trop puissant. Un matriarcat qui, jusqu'à présent, n’a pas tué de femmes, tandis que le patriarcat en tue chaque jour.
À travers le net, le patriarcat et le racisme ont déjà tué : dans le long métrage, la parole est notamment à Glen Canning, dont la fille, Rehtaeh Parsons, s’est enlevé la vie après avoir été violée et avoir vu les images de son agression devenir virales. Le cas de Rehtah n’est pas un cas isolé : Amanda Michelle Todd, ou encore l'affaire Alisha , deux adolescentes respectivement canadienne et française, se sont déjà suicidées en raison des commentaires et du cyberharcèlement physique et moral qu’elles ont subies par leurs camarades de classes.
Ces prénoms résonnent comme des avertissements, des feux rouges concernant la gravité que constitue l’effet des cyberviolences sur les adolescentes, les femmes, les personnes en général. Cela montre l’impératif des société civiles et des grands géants du numériques à contrôler le contenu de ce qui circule sur le net.
Dans le documentaire, l’intervention de Donna Zuckerberg, spécialiste des cyberviolences faites aux femmes et sœur du fondateur de Facebook, insiste sur la nécessité de la mise en place de politiques gouvernementales pour limiter ces comportements diffamatoires sur les réseaux, car les géants du numérique semblent ne pas vouloir agir globalement et de manière concrète sur le contenu.
PLUS QU’UN LONG MÉTRAGE: UN OUTILS DE PRÉVENTION DES CYBERVIOLENCES
Ce long métrage est un projet de longue date qui a été réalisé suite à l’idée de la réalisatrice Léa Clermont-Dion de dévoiler l’affaire du cyberharcèlement en cours de Laurence Gratton et ses camarades qui, à l’époque, présageaient un fléau international ne se limitant pas qu'aux portes de l’université de Montréal.
Les réalisatrices Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist insistent sur la profondeur de leur travail, du temps et de la vérité du long métrage qui fait parler des femmes qui n’étaient pas forcément à l'aise à s’exprimer au départ. Elles racontent avoir rencontré de nombreuses difficultés à en faire témoigner certaines.
Le film est désormais disponible dans les toutes les salles de cinéma et demeure, selon l'une des réalisatrices, un « outil de prévention et d’éducation pour contrer la banalisation de la misogynie en ligne ». « Il vise à changer les choses » - confie-t-elle dans une interview accordée au média québécois Le Devoir.
Un documentaire poignant qui mélange la beauté cinématographique à celle de l’absurdité des cyberviolences et de ses conséquences.
N'hésitez plus et foncez dans les salles de cinéma !