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Vague de putschs en Afrique de l’Ouest : Qu’en pense la Chine ?

Par Clara Mang ;


Cet été a été marqué par plusieurs putschs militaires en Afrique de l’Ouest. En effet, un mois de différence sépare le putsch militaire au Niger (27 juillet 2023) de celui du Gabon (30 août 2023). Les deux démocraties ont vu leurs institutions bouleversées suite à la prise de pouvoir du pays par des groupes militaires. La zone du Sahel est victime d’une vague de changements politiques tellement brusques que personne ne les a vu venir. Une instabilité politique s’installe dans la région, impactant les acteurs les plus proches et évidents mais aussi les plus lointains. En effet, durant ces dernières semaines, beaucoup d’articles concentrent leur analyse sur l’impact de ces évènements notamment sur les relations franco-nigériennes. Mais qu’en est-il de la Chine ? Le pays élargit sa sphère d’influence à de nombreux pays d’Afrique et ce depuis plusieurs décennies. Ainsi, quel regard porte l’Empire du Milieu sur ces bouleversements politiques ? Comment pourraient-ils l’impacter, de si loin ?

 

La Chine et l’Afrique, une relation de plus en plus affirmée

Depuis plusieurs décennies, la Chine ne cache plus son intérêt pour le continent africain. Elle multiplie les accords commerciaux et les aller-retours en Afrique. Le Niger et le Gabon témoignent d’une coopération très avancée avec la Chine.

La puissance chinoise est le deuxième investisseur au Niger, derrière la France et son premier fournisseur de biens. Un forum d’investissement Chine-Niger s’est déroulé en avril dernier et de nombreux projets de construction sont en marche. La Chine est le partenaire économique majeur du Niger, notamment sur le plan énergétique. Elle se donne pour mission d’investir massivement dans le pays dans les secteurs énergétique, économique, politique afin de permettre au Niger d’être plus indépendant de ses voisins frontaliers.

La Chine fait de même avec son « vieil ami », le Gabon. Cela fait maintenant près de 50 ans que cette dernière et le Gabon ont instauré une coopération dans différents domaines : en 1974, la Chine est devenue le premier partenaire économique du Gabon. De nombreux accords ont été conclus entre les deux pays. La Chine voit en le Gabon, un atout au niveau du pétrole, du manganèse (une sorte de métal) et du bois. Le Gabon, lui, désire, entre autres, une coopération agricole renforcée avec la Chine. Durant leurs multiples rencontres, les deux pays témoignent d’un renforcement de leur coopération et disent « se soutenir fermement et s’entraider étroitement ».

Enfin, le soft power chinois réussi de plus en plus à s’ancrer dans les deux pays africains : possibilité d’apprentissage de la langue chinoise dans certaines écoles africaines, un nombre croissant d’étudiants nigériens et gabonais en République Populaire de Chine, une image méliorative du pays de Xi Jinping vis-à-vis des Africains ainsi qu’un nombre croissant de projets d’investissement par la Chine dans les deux pays.

 

Des ambitions sino-africaines déstabilisées dans le futur

La Chine doit-elle s’inquiéter des bouleversements politiques au Niger et au Gabon ? Auront-ils un impact direct sur elle ?

Tout cela est possible. En effet, de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest, membres de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest) ne légitiment pas la prise de pouvoir des juntes militaires au Niger comme au Gabon et ne les reconnaissent pas comme autorités légitimes. La CEDEAO a ainsi établi des sanctions économiques fortes envers les juntes militaires afin de les dissuader de rester au pouvoir et de les inciter à restaurer le pouvoir politique précédent : “toutes les transactions commerciales et financières entre les Etats membres de la CEDEAO et le Niger ont été suspendues. De plus, les avoirs bancaires du Niger ont été gelés dans les banques centrales du CEDEAO” (BBC News Afrique). Ces lourdes sanctions économiques auront et ont déjà un impact sur les projets sino-africains. Le projet de construction d’un barrage à Kandadji au Niger, par exemple, a déjà été suspendu et des employés ont été licenciés du fait de ces blocages financiers. Aussi pouvons-nous prédire un pareil blocage du projet de parc industriel agro-alimentaire, manufacturier, minier et immobilier débuté le 3 juillet à Niamey.

Enfin, on peut s’interroger sur la nature de la relation que la Chine et les nouvelles juntes militaires vont devoir établir. Cette relation parviendra-t-elle à la stabilité ? Les différents risques économiques causés par les sanctions du CEDEAO et les risques d’un conflit armé entre les groupes militaires du CEDEAO et d’autres acteurs comme la France pèseront probablement sur les ambitions chinoises à l’avenir.

 

Un moyen de renforcer son soft power

Dans cette situation de crise, la Chine peut néanmoins y trouver une once d’avantage pour elle. En effet, le pays de Xi Jinping renvoie une image de modérateur en appelant « les parties concernées au Gabon à résoudre leurs différends par le dialogue, à rétablir l’ordre normal dès que possible et à assurer la sécurité personnelle du président gabonais Ali Bongo Ondimba » (d’après le porte-parole du ministère chinois des Affaires Etrangères). La Chine cultive cette image de modératrice, sans pour autant aller contre le « principe de non-ingérence » et à trop s’imposer dans les affaires internes au pays. Elle « encourage les pays africains à régler leurs problèmes à leur façon, à l’africaine ». ​​​Aussi, le sentiment anti-français grandissant, notamment au Niger, peut profiter à la Chine, qui, en se montrant de plus en plus comme le porte-parole des Pays du Sud, promeut une image méliorative et renforce son soft power. La présence française de moins en moins appréciée, peut ouvrir la porte à une Chine de plus en plus implantée en Afrique.

 

Néanmoins, si la Chine est un acteur à prendre en compte dans la crise, il n’en reste pas moins que ses inquiétudes présumées demeurent de second plan vis-à-vis de celles ressenties par les divers acteurs étatiques africains, centraux à la crise. La suite des évènements est à suivre, et de très près…


Crédit Photo : Reuters

Sources :


BBC News Afrique. « L’Afrique a besoin que la Chine et les États-Unis travaillent ensemble ». Consulté le 22 septembre 2023. https://www.bbc.com/afrique/region-59595382.


BBC News Afrique. « Les conséquences des sanctions de la CEDEAO au Niger ». Consulté le 25 septembre 2023. https://www.bbc.com/afrique/region-66502800.


Courrier international. « Analyse. L’irrésistible déploiement d’une “ceinture de coups d’État” en Afrique », 15 septembre 2023. https://www.courrierinternational.com/article/analyse-l-irresistible-deploiement-d-une-ceinture-de-coups-d-etat-en-afrique.


Gazibo, Mamoudou, et Abdou Rahim Lema. « From Non-Interference to Adaptative Pragmatism: China’s Security Policy in Africa » 21, no 3 (2022): 120.


« La Chine entend jouer un “rôle de médiateur” dans la crise au Niger ». Consulté le 21 septembre 2023. https://www.bfmtv.com/international/afrique/la-chine-entend-jouer-un-role-de-mediateur-dans-la-crise-au-niger_AD-202309041008.html.


« La coopération entre le Gabon et la Chine est fructueuse à travers des actes tangibles ». Consulté le 21 septembre 2023. http://french.peopledaily.com.cn/Afrique/n3/2021/0617/c96852-9861924.html.


Le Monde.fr« Depuis 1950, près de cinq cents coups d’Etat tentés ou réussis, surtout en Amérique du Sud et en Afrique ». 11 septembre 2023. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/09/11/depuis-1950-pres-de-cinq-cents-coups-d-etat-tentes-ou-reussis-surtout-en-amerique-latine-et-en-afrique_6188906_4355770.html.


Le Monde.fr. « Les coups d’Etat en Afrique se succèdent depuis 2019 : Mali, Soudan, Niger… ». 9 septembre 2023. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/09/09/les-coups-d-etat-en-afrique-se-succedent-depuis-2019-mali-soudan-niger_6188565_4355770.html.


Morin-Racine, Antoine. « « Épidémie de putschs » ou juntes décoloniales : un regard sur les récentes tensions en Afrique de l’Ouest ». Impact Campus (blog), 21 septembre 2023. http://impactcampus.ca/actualites/epidemie-de-putschs-ou-juntes-decoloniales-un-regard-sur-les-recentes-tensions-en-afrique-de-louest/.


« Niger: après le coup d’Etat et les sanctions, éviter à tout prix l’asphyxie ». AFP Infos Mondiales, 22 septembre 2023. https://nouveau.eureka.cc/Link/unimont1/news·20230922·AI·tx-par-cxp11.


Nigerinter. « Relations Chine-Niger: Le ministre de la défense nationale s’est entretenu avec l’ambassadeur de Chine au Niger SEM Jiang Feng », 3 septembre 2023. https://nigerinter.com/2023/09/03/relations-chine-niger-le-ministre-de-la-defense-nationale-sest-entretenu-avec-lambassadeur-de-chine-au-niger-sem-jiang-feng/.


RFI. « Depuis le coup d’État, la Chine surveille avec prudence ses intérêts économiques au Niger », 11 août 2023. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230811-depuis-le-coup-d-%C3%A9tat-la-chine-surveille-avec-prudence-ses-int%C3%A9r%C3%AAts-%C3%A9conomiques-au-niger.


RFI. « Gabon: le président Ali Bongo en visite officielle en Chine pour deux jours », 18 avril 2023. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230418-gabon-le-pr%C3%A9sident-ali-bongo-en-visite-officielle-en-chine-pour-deux-jours.


RFI. « La Chine monte au créneau après la tentative de coup d’État au Gabon », 30 août 2023. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230830-la-chine-monte-au-cr%C3%A9neau-apr%C3%A8s-la-tentative-de-coup-d-%C3%A9tat-au-gabon.


The Economist. « The coup in Gabon is part of an alarming trend ». Consulté le 21 septembre 2023. https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2023/08/30/the-coup-in-gabon-is-part-of-an-alarming-trend.


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