SE SOUVENIR DE LA SHOAH : UN REMPART FACE À LA PERCÉE FASCISTE EN OCCIDENT
- Le Polémique
- 24 févr.
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Par Camille Rayneau

Crédit : Yad Vashem Photo Archives, un convoi de Juif.ves hongrois.es fait la queue sur la rampe de sélection au centre de mise à mort d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne occupée. Mai 1944.
« Nous, les derniers survivants, nous avons le droit, et même le devoir, de vous mettre en garde et de vous demander que le “plus jamais ça” de nos camarades devienne réalité. »
— Simone Veil, cérémonie internationale des 60 ans de la libération d’Auschwitz-Birkenau
Et pourtant, les faits s’accumulent et dressent devant nous un paysage politique glaçant. Il est ainsi devenu banal de lire ces titres : « Les néofascistes du Comité du 9 mai défilent à Paris en toute impunité pour leurs 30 ans » (Le Monde, 17 mai 2024) ; « Salut fasciste et défilé quasi-militaire : près de 1500 partisans manifestent dans les rues de Milan » (Le Figaro, 2 mai 2024) ; « Saluts fascistes, cagoules et croix celtique : défilé glaçant d’extrême droite à Rome » (Libération, 8 janvier 2025). Ailleurs, des figures politiques de premier plan utilisent des rhétoriques et des symboles autrefois inimaginables : ainsi, l’AFD en Allemagne, soutenu financièrement par Elon Musk, reprend le concept nazi de Lebensraum (espace vital), tandis que les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, légitiment l’idée de déplacer des populations, notamment à Gaza pour construire une nouvelle « Côte d’Azur » sur les ruines et les cadavres. Face à ces résurgences, la mémoire de la Shoah est plus essentielle que jamais, celle-ci devient un impératif de vigilance et d’action, un avertissement face aux percées fascistes. Umberto Eco affirme que l’ « on peut jouer au fascisme de mille façons ». Il cite ainsi 14 caractéristiques des régimes fascistes comme : le culte de la tradition et le refus du modernisme ; le racisme ; l’élitisme populaire ; le populisme qualitatif, etc… Cependant il prévient aussi qu’il est « susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes ».
La Shoah est l’exemple ultime des conséquences du fascisme. Une machine industrielle, un système entier délibérément crée pour tuer. Au moins 6 millions de Juif.ves, 250 000 Tsiganes, 1,8 millions de Polonais.es non-Juif.ves, 3,3 millions de prisonnier.es soviétiques, 300 000 personnes handicapées, 10 000 personnes homosexuelles. C’est le bilan de l’idéologie nauséabonde nazie. Mais à mesure que les dernier.es survivant.es disparaissent, la transmission de cette mémoire est affectée et s’essouffle. Sophie Nahum, réalisatrice de la série documentaire « Les Derniers », insistait pourtant sur l’importance des témoignages des survivants : « Une chance pour alerter sur ce que l’être humain est capable d’infliger à celui qu’il considère comme étranger ». Ce travail repose aujourd’hui sur des personnes et institutions qui n’ont pas vécu ces temps sombres. Or, cette mémoire est aujourd’hui mise en danger. Le négationnisme et la désinformation progressent sur les réseaux sociaux. Les théories complotistes prolifèrent, relayées par des médias populistes et sensationnalistes. Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah, alerte : « Ce qu’on comprend de l’histoire des génocides, c’est que tout commence par des mots et des petits actes. ».

Crédit : Capture d’écran Twitter (Le Parisien), un groupe de néonazis défile dans Paris derrière une banderole «les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent».
Le fascisme ne s’impose pas tout le temps par un coup de force soudain, au contraire il est lent, il s’insinue progressivement et discrètement dans les sociétés démocratiques. Il est difficile de le reconnaître et ceux et celles qui le dénoncent sont souvent marginalisé.es. L’histoire témoigne pourtant : Hitler est arrivé au pouvoir en respectant le processus démocratique et a été aidé par les partis libéraux. Les politologues Levitsky et Ziblatt ont ainsi expliqué que de manière générale, les leaders populistes du passé (Mussolini, Chavez ou Vargas) ont exploité les faiblesses des systèmes en place avant de les dévoyer. Ils ont notamment réussi en s’appuyant sur les failles des élites politiques, qui croyaient pouvoir les contenir en leur accordant des places stratégiques et en créant des alliances. Ce schéma n’appartient pas qu’au passé. Aujourd’hui, en Allemagne, le parti conservateur s’allie pour la première fois avec l’extrême droite. En France, le gouvernement applique des mesures inspirées par les idées du Rassemblement National pour éviter une censure parlementaire. Au Québec et au Canada, le favori pour succéder à Justin Trudeau, Pierre Poilievre, adopte une ligne politique alignée sur les idées trumpistes. Les boucs émissaires varient selon les contextes : juif.ves, musulman.es, personnes en exil, queer ou racisées, les mécanismes de désignation de l’ennemi restent les mêmes.
« Auschwitz est beaucoup plus proche de nous qu’il n’y paraît. Songez à tout ce qui se passe dans le monde, les massacres absurdes, les guerres ou les génocides. »
Piotr Cywiński, directeur du musée et mémorial d’Auschwitz-Birkenau
Pour lutter contre ces dérives, nous devons nous outiller. Premièrement, notre esprit critique est notre meilleur atout. Nous vivons en effet dans une ère de post-vérité où même les médias légitimés et traditionnels peuvent manipuler des faits, inverser des discours et réécrire l’histoire. Ceux-ci ne sont plus indépendants, pour la plupart, et appartiennent à de grandes fortunes, comme celle de Vincent Bolloré en France. Ensuite, refuser la banalisation des discours fascistes est primordial, car ce qui était inacceptable hier devient aujourd’hui un sujet de débat légitime. Or accepter de débattre de la dignité humaine voire du droit à exister d’une personne, c’est déjà les remettre en cause. L’acceptabilité des idées qui peuvent être débattues dans un espace public se nomme « la fenêtre d’Overton », et force est de constater que lorsque l’on transforme un salut nazi en « salut romain », ou l’extrême droite en « vraie droite », celle-ci semble s’être violemment déplacée dans les dernières années.
Le fascisme est une menace qui ne disparaît jamais totalement. Il avance et se faufile dans les discours, gagne du terrain dans les urnes et s’impose quand il est trop tard pour réagir. Se souvenir de la Shoah, c’est comprendre comment une société bascule dans la haine et la violence. C’est reconnaître les signes du présent et refuser d’être spectateur.rice.
Sources :