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Recrudescence des coups d’État en Afrique : une lutte politique au détriment des civils ?

Par Lola Christophe

 

Cet été, en l’espace d’un mois, deux coups d’État, au Niger et au Gabon ont secoué le continent africain. Au cours des trois dernières années, se sont ainsi succédés huit coups d’État en Afrique de l’Ouest et du Centre.

En réalité, le continent connaît depuis plusieurs années, une crise profonde et multidimensionnelle. Depuis l’indépendance des États africains dans les années 1960 se succèdent en effet les coups d’État, venant bouleverser le continent et entrainant des troubles profonds : extrême pauvreté et précarité de la population, mauvaise gouvernance, pillage des ressources par une partie des élites, corruption, instabilité politique, guerres civiles, terrorisme, insécurité…

Les conflits politiques qui frappent le continent sont loin d’être sans conséquences sur les civils. Déjà confrontée à de profonds problèmes socio-économiques, aux effets dévastateurs du changement climatique, à de fortes pressions démographiques, à une grande insécurité alimentaire, etc., la survie de millions de personnes est aujourd’hui foncièrement menacée. Le continent africain, et plus précisément la région sahélienne, fait donc actuellement face à des problématiques d’instabilité politique sans précédent venant envenimer les crises humanitaires et sécuritaires déjà existantes, ayant ainsi des impacts ravageurs sur les populations.

 

La région du Sahel, entre instabilité politique, défis sécuritaires et chaos humanitaire :  

 

Si, d’un point de vue humanitaire, la crise que connaissent la plupart des États africains est déjà préoccupante depuis de nombreuses années, les défis humanitaires et sécuritaires sont aujourd’hui d’une ampleur sans précédent.

Il serait tout d’abord pertinent de constater qu’il existe une certaine relation de causalité entre les coups d’État et les situations de crise engendrées. Effectivement, si ces derniers sont la cause et donnent ainsi naissance à de nombreux troubles, ces évènements politiques seraient aussi le résultat d’une grande frustration de la population face aux effets de ces crises. Plus particulièrement, l’insécurité permanente qui touche de nombreux pays africains serait une des causes, mais également l’une des conséquences de ces troubles politiques. En effet, la dimension sécuritaire est essentielle afin de comprendre les récents coups d’État ayant eu lieu en Afrique de l’Ouest ces trois dernières années.

Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger, Soudan, Guinée sont des régions où la montée en puissance des groupes armés terroristes est considérable : depuis une dizaine d’années, ces pays subissent un niveau record de violence, contribuant à leur fragilisation politique et causant de nombreuses victimes. L’insurrection djihadiste aurait fait depuis 2009, plus de 40 000 morts en région sahélienne selon le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, et aurait entrainé le déplacement d’environ trois millions de personnes. La répétition des attaques armées entraine effectivement grand nombre de déplacements : des mouvements de population, à l’interne, mais aussi à l’externe.

Aussi, le 18 aout dernier, le Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies, Volker Türk, déclarait que la vie des plus vulnérables était en jeu au Niger. Le Niger, qui est l’un des pays les plus pauvres du monde, semble en crise permanente depuis son indépendance en 1960. En une soixantaine d’années, le pouvoir en place aura été renversé cinq fois. Le 26 juillet 2023, éclate ainsi un nouveau coup d’État dont les conséquences sur la situation humanitaire sont déjà visibles. Tout d’abord, la fermeture des frontières du pays rend considérablement plus difficile l’aide humanitaire internationale, dont dépendent des millions de personnes. Effectivement, en seulement deux mois, l’insécurité alimentaire aurait drastiquement augmenté, et près d’une centaine de milliers d’enfants serait d’ailleurs aujourd’hui en malnutrition aiguë modérée. Cela résulte de la fermeture des frontières qui empêcherait l’import de produits nutritionnels nécessaires à la survie de milliers de personnes. Au lendemain du putsch nigérien, la CEDEAO, l’Union européenne, l’Union Africaine ou encore la France ont pris des mesures punitives à l’encontre du pays, exacerbant également la crise. Coupures d’électricité, augmentation colossale du prix des denrées alimentaires, rareté des produits de base… L’impact des sanctions imposées conjugué aux effets de l’inflation a donc accru des perspectives humanitaires qui étaient déjà très alarmantes.

Quant à la fermeture des frontières aériennes et terrestres, celle-ci aggrave la situation des personnes déplacées. En effet, le Niger, qui partage ses frontières notamment avec le Burkina Faso, le Mali et le Tchad, se situe donc sur des routes migratoires et ainsi des milliers de migrants fuyant la violence se retrouvent bloqués dans le désert. Ces derniers sont d’ailleurs la plupart du temps exploités par plusieurs groupes de trafiquants et de passeurs selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). A l’heure où j’écris cet article, environ 700 000 personnes sont présentement en mouvement : des migrants en situation irrégulière, des demandeurs d’asile, des réfugiés, etc. Toutes ces personnes nécessitent des besoins différents et doivent donc être prises en charge de façon appropriée, ce qui est loin d’être le cas en raison du contexte politique actuel.

Des millions d’enfants sont en danger !

 

La présente situation des pays d’Afrique de l’Ouest est très préoccupante à l’encontre des enfants. Les enfants, pourtant censés être protégés par la Convention relative aux droits de l’enfant, adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1989, sont les personnes les plus vulnérables et les plus touchées par une crise humanitaire et sécuritaire qui continue de s’aggraver jour après jour.

De prime abord, l’accès à l’éducation est très fortement compromis : des milliers d’enfants sont privés d’école, à cause de la menace d’attaques des groupes armés sur les écoles. En effet, les écoles sont tout simplement fermées pour des raisons sécuritaires ou bien parce qu’il n’y a pas assez de corps enseignants, également en raison de la menace constante d’attaques qui plane sur les civils. En aout 2023, l’ONU aurait par ailleurs annoncé qu’environ cinq millions d’enfants auraient besoin d’une aide humanitaire d’urgence au Mali. Depuis les deux coups d’État qui ont bouleversé le pays en 2021, la précarité de la santé, l’insécurité alimentaire, le non-accès à l’éducation s’aggrave considérablement.

Les coups d’états peuvent parfois donner lieu à des combats armés entre les nouveaux dirigeants lorsqu’il y a divergence dans la manière de gouverner comme c’est le cas au Soudan. Le Soudan, qui a récemment connu deux putschs, un en 2019 et un en 2021, est actuellement ravagé par la guerre. Ces violents combats, qui sont fruit d’une lutte pour le pouvoir, ont des effets ravageurs sur les civils qui se retrouvent en première ligne. Les impacts de ce conflit, qui n’est autre que politique, sont une nouvelle fois épouvantables, affreux, inqualifiables. 700 000 enfants seraient en danger de mort quasi-imminent selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies : les taux de malnutrition aigüe sévère étant constamment en hausse, des décès prématurés sont prévisibles. Si la moitié de la population souffrait déjà d’insécurité alimentaire, ils sont aujourd’hui des millions de civils à ne plus avoir accès à l’eau, à la nourriture, à des abris, à des soins de santé ou encore à l’électricité. Plus de trois millions d’enfants auraient également été contraints à fuir de chez eux, se retrouvant sans abris, sans familles et nécessitant une aide humanitaire urgente.

 

Ce regain de coups d’états en Afrique nous invite finalement à réfléchir profondément quant au déclin de la démocratie clairement observable, à l’impact de ces troubles politiques sur les populations civiles et nous questionne sur les plans de réponse humanitaire qu’il est réellement nécessaire de mettre en place pour contrer le chaos sécuritaire qui règne sur le continent.


Crédit Photo : AFP


Sources :














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