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Les sanctions envers la Russie : des décisions coûteuses pour l’Europe ?

Par Theodore Sakr


Photo: Jayesh Khatu, E-International relations.


Alors que Vladimir Poutine annonçait son « opération militaire spéciale » sur le territoire ukrainien le 24 février dernier, la pluie de sanctions qui s’ensuivit – notamment de la part des pays « occidentaux » – n’a pas cessé. Il est essentiel de constater comment ces sanctions ont affecté tant l’Europe que la Russie, tout en offrant un aperçu de la réaction des communautés européennes et russes.


Dans la mesure où elles sont appliquées, les sanctions économiques s’inscrivent dans une logique de contrainte visant à déstabiliser la cible, la forçant, d’une manière ou d’une autre, à changer de comportement. C’était du moins ce qu’espérait l’Europe occidentale en ce qui a trait à la guerre actuelle. Tandis que ce sont surtout des pays comme l’Allemagne, la France ou encore le Royaume-Uni qui imposent les sanctions les plus contraignantes contre la Russie, ce sont aussi parmi ceux qui en sont le plus affectés, tant à court, à moyen, voire long terme.

En l’occurrence, il est intéressant de mettre la loupe sur l’Allemagne. Comme il avait été prédit par l’administration Reagan voilà 40 ans, la forte dépendance au gaz russe est devenue un coup de massue pour Berlin. En effet, le géant européen a été contraint de rouvrir, depuis l’été 2022, plus de 15 centrales thermiques électriques au charbon. Peut-on y voir un pas en arrière sur les objectifs environnementaux promis par Olaf Scholz ? Le chancelier allemand rassure la communauté européenne en affirmant que ce ne sont que des mesures temporaires en vue de l’hiver – seul le temps nous dira si ce sera bel et bien le cas, alors que la fin de la guerre en Ukraine ne semble pas encore se dessiner à l’horizon.


En tenant compte du but des sanctions imposées à la Russie, la question qui se pose naturellement est : « est-ce que ces sanctions fonctionnent ? ». Force est de voir ce que chaque camp en dit. D’un bord, Washington insiste sur l’efficacité des sanctions, poussant les pays – notamment d’Europe occidentale – à renchérir. Pour les Américains, la Russie est prise au piège, et ce n’est qu’une question de temps avant que le Kremlin n’agite le drapeau blanc. Pour Moscou cependant, les sanctions constituent une raison de plus pour renforcer leurs attaques sur Kiev. Signe des désirs de représailles de Moscou, des bombardements continus rugissent sur la capitale ukrainienne, visant surtout les centrales électriques.


Bien sûr, un raisonnement déductif nous pousse à conclure que les sanctions auraient un effet plus flagrant sur la Russie si plus de pays s’y investissaient. Le cas par exemple de l’Iran, qui fournit continuellement des drones aux Russes, ou de la Chine qui, bien que silencieuse, ne sanctionne pas la Russie à grande échelle. Peut-on cependant pointer ces pays du doigt et remettre la faute sur eux ? Pour l’Iran, la volonté de s’émanciper économiquement prône. Du côté de la Chine, le manque de sanctions peut s’expliquer par sa motivation de garder de bonnes relations avec les autres États, y compris la Russie. Est-ce réellement des raisons pour lesquelles on peut condamner ces pays de ne pas avoir imposé plus de sanctions, surtout lorsqu’on voit la dégringolade catastrophique qui a lieu en Europe pour les pays qui en auraient « trop » imposé (ou du moins, trop rapidement) ?


Au milieu de tout cela, Poutine ne semble pas être prêt à baisser les bras. Bien au contraire, les nombreux discours adressés à la population russe ont une portée psychologique : les sanctions sont là pour nuire à la Russie et au peuple russe. Cette rhétorique vise non seulement à justifier la guerre, mais à créer un sentiment d’identité collective au sein des Russes. Avec un sentiment patriotique renforcé, les Russes auront plutôt tendance à se rallier à la politique du Kremlin et condamner les sanctions selon Poutine. Malgré ce que l’on puisse dire sur lui, Poutine est loin d’être quelqu’un d’irrationnel – il n’agit pas sans réfléchir. Comme depuis qu’il a été élu président en 2000, ses discours orbitent autour de thèmes récurrents : la sécurité de la Russie menacée, la nation russe en danger, l’Ouest contre la Russie… Est-ce légitime pour justifier sa guerre ? Tout dépend de quelle école de pensée nous définit le mieux. Un réaliste dirait que les sanctions sont illégitimes pour un pays qui ne fait que défendre sa sécurité nationale, et que la guerre est tout à fait compréhensible; cruelle, mais compréhensible. Un libéral quant à lui dirait que c’est une question qui ne devrait même pas être posée – il faut régler les différends amicalement et par la négociation, sans jamais avoir recours à la guerre, et le cas échéant, imposer des sanctions comme ultimum remedium.


Si vous vous êtes rendus jusque-là, vous vous posez sans doute la question : « les sanctions vont-elles mettre fin à la guerre ? ». C’est la question de l’année, et c’est du moins ce qu’espèrent les pays qui les ont imposées. Sinon, à quoi bon servent-elles si elles ne forceront pas Poutine à mettre un terme à la guerre ? Les résultats attendus ne seront pas immédiats, et c’est notamment la raison pour laquelle plusieurs experts se penchent sur l’idée d’attendre avant de juger de leur efficacité. En effet, à court terme, elles semblent ne pas avoir autant d’effets que l’on aurait espérés, mais à long terme, comme l’expression le dit, la Russie « creuse lentement sa tombe », notamment en ce qui a trait à ses relations les avec autres États. Quelques pistes de réflexions s’offrent à nous si l’on désire aller plus loin dans le thème : la Russie sera-t-elle pénalisée par sa guerre pour les décennies à venir ou bien les sanctions resteront uniquement pour le court terme ? La légitimité des organisations internationales est-elle remise en question par la manière dont le regard est porté sur la guerre en Ukraine, en comparaison aux autres guerres actuelles ?



Sources


Amiot, Hervé. 2022. "Ukraine: comprendre la résistance". Politique étrangère 2, 11-23. https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2022-2-page-11.htm?contenu=article

Lonardo, Luigi. "Are sanctions against Russia working ?" RTE. Publié le 2 novembre 2022. https://www.rte.ie/brainstorm/2022/1101/1332541-russia-sanctions-eu-ukraine-war/


Marcus, Michelle. "Les sanctions économiques contre une superpuissance: une réaction adéquate dans une perspective de dissuasion et de punition?" Réseau d'analyse stratégique (NSA). Publié le 8 juillet 2022. https://ras-nsa.ca/fr/les-sanctions-economiques-contre-une-superpuissance-mondiale-une-reaction-adequate-dans-une-perspective-de-dissuasion-et-de-punition/

The Conversation. " Guerre en Ukraine: le rôle des organisations internationales". The Conversation. Publié le 10 juillet 2022. https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-le-role-des-organisations-internationales-186520


The Economist. "Marine Le Pen says sanctions on Russia are not working". The Economist. Publié le 3 novembre 2022. https://www.economist.com/europe/2022/11/03/marine-le-pen-says-sanctions-on-russia-are-not-working


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