Le régime des Ayatollahs et la liberté des femmes à disposer de leur corps
- Le Polémique
- 20 nov. 2022
- 5 min de lecture
Par Kalya Nzesseu

Photo: AFP
Le mardi 13 septembre 2022, alors qu’elle visitait Téhéran avec sa famille, Mahsa Amini, 22 ans, est arrêtée pour « port de vêtements inappropriés » par la police des mœurs, chargée de contrôler la tenue des femmes et de veiller au respect du port du voile en Iran. Elle meurt trois jours plus tard à l’hôpital. Sa mort, pour une mèche de cheveux qui dépasse, provoque alors la colère de la jeunesse iranienne.
L’incident de trop ?
Dès le samedi 17 septembre, les funérailles de la jeune femme tournent à l’affrontement avec la police. Très vite, les protestations s’étendent au reste du pays, notamment à Téhéran, la capitale, où les étudiants descendent dans les rues pour réclamer plus de liberté et dénoncer l’ordre moral ultraconservateur du pouvoir en place. Partout sur les réseaux sociaux se propagent des vidéos de femmes se coupant les cheveux ou brûlant courageusement leur voile en signe de protestation. Dans toutes les régions et toutes les couches de la société iranienne, les manifestations s’intensifient et un mouvement de contestation sociale émerge peu à peu. Néanmoins, la répression du pouvoir religieux en place est violente. Pratiquement deux mois après le début des protestations, l’ONG Iran Human Right dénombre plus de 460 personnes tuées et des centaines d’arrestations arbitraires. D’après une enquête d’Amnesty International, les forces sécuritaires iraniennes font preuve d’une « violence impitoyable » et d’un recours à la force illégal et systématique face aux manifestants, incluant notamment des tirs de balles réelles, de grenailles et d’autres plombs, des rouages de coups et des violences sexuelles à l’encontre des femmes.
Révolution Islamique et droit des femmes : rétrospective historique pour comprendre l’origine de la colère iranienne
En Iran, le voile est imposé aux femmes lors de l’arrivée au pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny en 1979. Cependant, pour comprendre la situation politique iranienne actuelle, il est nécessaire de remonter plus loin dans le temps.
Avant la révolution de 1979, l’Iran a été pendant plus de deux millénaires sous le joug des Shahs, c’est-à-dire des rois. En 1941, Mohamed Reza Pahlavi succède à son père, Reza Shah Pahlavi à la tête du pays. Depuis vingt ans, l’ambition de cette dynastie est de moderniser l’Iran, fragilisé par les conflits mondiaux et l’ingérence britannique, afin d’en faire une puissance influente sur la scène internationale. Dès 1963, le monarque lance un vaste programme de réformes économiques et sociales afin de mettre à l’écart les autorités religieuses chiites qui exercent une importante influence dans la société. Du point de vue du droit des femmes, les deux derniers shahs d’Iran interdisent le port du voile et donnent le droit de vote aux Iraniennes. C’est ce que l’on appellera la « Révolution Blanche » ou « Révolution du Shah et du peuple » (Djalili et Kellner, 2017). Néanmoins, des voix s’élèvent contre le pouvoir en place, notamment pour dénoncer les inégalités sociales qui se creusent et la corruption. En effet, le gouvernement mène une politique de plus en plus autoritaire et la Savak, police secrète, exerce une répression violente à l’égard des opposants politiques. Peu à peu, Mohamed Reza Pahlavi impose une véritable dictature et se coupe des soutiens traditionnels de la monarchie — à savoir le clergé —, sans pour autant donner une réelle place politique à la nouvelle classe moyenne qui émerge avec la modernisation. En première ligne de cette opposition, on retrouve l’Ayatollah Khomeiny, chef religieux chiite qui s’insurge contre l’occidentalisation de la société iranienne et prône la fondation d’une République Islamique. Depuis l’étranger, où il a dû s’exiler dans les années 60, il devient le guide de la contestation iranienne. Le 7 janvier 1978, la publication d’une tribune à l’encontre de ce leader influent, par le gouvernement, envenime la situation. C’est le début de la Révolution iranienne, qui rassemble des religieux, en faveur d’une république islamique, et des laïcs, qui s’opposent au régime en place qui n’a plus rien de démocratique. Après de nombreuses émeutes violentes, le dernier Shah d’Iran est contraint de fuir le pays et l’Ayatollah Khomeiny proclame officiellement la République Islamique d’Iran en avril 1979.
Pour les droits des femmes, la Révolution Islamique marque un tournant radical. La plupart de leurs acquis sociaux et juridiques obtenus sous la dynastie Pahlavi sont remis en question, notamment dans la sphère privée : « droit égal au divorce et à la garde des enfants, droit égal au témoignage devant la justice (celui de la femme vaut la moitié de celui de l’homme), droit de voyager à l’étranger, droit dit de sang (en cas de meurtre, la vie d’une femme est évaluée à la moitié de celle de l’homme devant un tribunal) ainsi que droit d’exercer certains métiers, notamment celui de juge » (Hoodfar et Sadr, 2012). Le nouveau pouvoir en place, qui légitime son action par une lecture rigoriste du Coran, rejette les principes de démocratie ainsi que d’égalité entres les hommes et les femmes, voire entre musulmans et non musulmans. Dans la nouvelle République Islamique d’Iran, le « Guide Suprême », qui est le chef de l’État, exerce ses fonctions à vie et ne rend de comptes à personne. Malgré l’existence d’une présidence et d’un Parlement, il n’y a pas de réelle séparation des pouvoirs. Toutes les sphères politiques dépendent du pouvoir religieux. En 1983, le port du voile obligatoire pour les femmes dans l’espace publique devient alors le symbole du respect de la religion et de la décence morale. La police des mœurs est créée en 2005 sous la présidence de l’ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad. Cette police est plus ou moins répressive en fonction des présidents. Cependant, les règles morales iraniennes restent très strictes pour les femmes.
En 2021, le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi durci les lois sur le port du hijab, d’où les frustrations actuelles à la suite de la mort de Mahsa Amini. Les femmes, qui se sont largement mobilisées pendant la Révolution, sont finalement les grandes perdantes du régime des Ayatollahs.
Comme l’écrivait si bien Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». La situation des femmes en Iran illustre parfaitement cette idée et met de l'avant l’importance du droit des femmes à disposer de leur corps, qu’elles choisissent ou non de porter un hijab, d’avorter ou de porter crop tops et mini-jupes. L’interprétation patriarcale de la religion est la seule responsable des violences faîtes aux femmes en Iran et l’ampleur des manifestations qui sont en cours démontrent l’aspiration des jeunes générations à plus de libertés individuelles.
SOURCES
Amnesty International. Communiqué de presse sur l’Iran, 28 septembre 2022 : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/09/iran-protester-killings-must-be-urgently-investigated-by-international-accountability-mechanism-says-amnesty-chief/
Djalili, Mohammad-Reza. Et Kellner, Thierry. « Histoire de l'Iran contemporain ». La Découverte : https://doi.org/10.3917/dec.djali.2017.01
Haski, Pierre. « La mort d’une jeune femme pour une mèche de cheveux de trop fait exploser la jeunesse iranienne », Podcast Géopolitique de France Inter, le 20 septembre 2022 : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-mardi-20-septembre-2022-2399321
Hoodfar, Homa et Sadr, Shadi. « Iran : Politiques islamiques et femmes en quêtes d’égalité », Association Féminin Masculin Recherches « Cahiers du Genre », 2012, n°3, pp. 47-67.
Iran Human Right : https://iranhr.net/en/
Khosrokhavar, Fahrad. « Le mouvement des femmes en Iran », Association Féminin Masculin Recherches « Cahiers du Genre », 2002, n°33, pp. 137-142.
Les archives de la RTS. « La révolution iranienne (1979) », septembre 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=uXQdzMqW2Ng
Wallon, Estelle et Derghal-Hammoudi, Naoual. « Le voile en Iran : la construction d’une nouvelle identité féminine », La Pensée sauvage « L'Autre », 2009, vol 10, pp. 305-317.