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La Loi sur les mesures d'urgence

Dernière mise à jour : 3 avr. 2023

Par Maxime Bergeron




Photo: L'actualité


14 février 2022, le Parlement canadien est assiégé depuis plusieurs jours par des citoyens insatisfaits. Ce regroupement autoproclamé Freedom Convoy (Convoi de la liberté) s’oppose aux mesures sanitaires mises en place par les autorités. Ces dissidents sont confortablement installés dans leurs camions et profitent de la température hivernale pour se réchauffer dans un jacuzzi installé dans le campement organisé pour le siège. Après de nombreuses interventions des forces de l’ordre et face à la crise, le Premier ministre Justin Trudeau décrète la Loi sur les mesures d’urgence. Grâce aux nouveaux pouvoir qui lui est accordé, le bras armé de l’État va arriver à déloger les rebelles de base à Ottawa et mettre fin au feuilleton télévisuel qui avait attiré l’attention du monde entier. Finalement, le 20 février 2022, après un siège qui a duré 23 jours, la population canadienne et la ville d’Ottawa a pu revenir dans un état de quiétude.


Malgré la fin du siège, la Loi sur les mesures d’urgence, qui fut proclamée le 14 février à la suite d’un décret du Conseil des ministres, a dû être officialisée par une motion à la Chambre des communes le 22 février pour être finalement révoquée par le Premier ministre le lendemain. En contre-coups de ces événements, la mise en place d’une commission fut incontournable sachant que la loi prévoit une enquête publique dans les soixante jours suivant la mobilisation de cette mesure.

C’est la raison pour laquelle ce sujet revient dans l’actualité canadienne. En effet, même si cet événement date de plusieurs mois et que les mesures sanitaires sont maintenant presque toutes disparues, la commission sur l’état d’urgence, également intitulée commission Rouleau, siège depuis le 13 octobre. Elle a comme principal mandat d’étudier : « […] le fondement de la décision du gouvernement de déclarer l’état d’urgence, les circonstances qui ont donné lieu à cette déclaration, ainsi que la pertinence et l’efficacité des mesures choisies par le gouvernement pour répondre à la situation » (Commission sur l’état d’urgence 2022). Cette commission, qui siègera jusqu’au 25 novembre, recevra à la barre des témoins le Premier ministre Justin Trudeau, ainsi que des membres de sa garde rapprochée, notamment la ministre Chrystia Freeland, la ministre Anita Anand et le ministre David Lametti.

Afin d’être en mesure de se positionner sur cette question, il devient pertinent de mieux comprendre la loi et son historique, ce qu’elle implique et les points soulevés par les divers acteurs justifiant ou non son utilisation. Par conséquent, ces divers éléments seront abordés dans l’optique de fournir un tour d’horizon de la question.

Tout d’abord, il est important de mieux comprendre les visées de cette loi et sa définition d’une crise nationale. En se référant au préambule de la loi, certains éléments ressortiront, comme la notion de crise nationale puisque celle-ci est centrale afin d’avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence. En effet, l’idée derrière cette loi est de permettre à l’autorité, de manière temporaire et avec l’approbation du Parlement, de prendre des moyens extraordinaires pour rétablir l’ordre (Canada 1988). Cette loi, adoptée en 1988, remplace la Loi sur les mesures de guerre, une loi qui conférait au gouvernement d’énormes pouvoirs et qui fut utilisée à trois reprises seulement dans l'histoire du pays: lors de la Première et la Deuxième Guerre mondiale et lors de la Crise d’Octobre de 1970, lorsque le Front de Libération du Québec (FLQ) avait semé le chaos en capturant des membres du gouvernement. (Rosen 2001)


La portée de cette loi était quasi illimitée car il était possible pour les autorités, en faisant usage d’une dérogation, de retirer cette loi du champ d’application de la Déclaration canadienne des droits servant à assurer à la population le respect de ses droits et libertés. Cela avait permis aux autorités d’arrêter tout individu pouvant avoir des liens avec le FLQ lors de la Crise d'Octobre, par exemple. (Smith 2013). Dans le cas des divers blocages de février 2022, s’il avait été encore possible pour les autorités d’avoir recours à la Loi sur les mesures de guerre, il semble adéquat de croire qu’il aurait été particulièrement simple pour les autorités de régler le problème en quelques heures en faisant du Freedom Convoy une organisation illégale et en arrêtant tous les individus étant soupçonnés d’avoir des liens avec celle-ci. Cependant, il importe de noter le caractère liberticide de cette disposition qui a mené à son abrogation lors de l’adoption de la Loi sur les mesures d’urgence. En effet, bien que l’État ait le monopole de la violence légitime, il est difficile de croire qu’aujourd’hui, avec la multitude d’appareils permettant de partager de l’information en temps réel, une intervention de cette nature par le gouvernement aurait obtenu l’approbation de la population (Rosen 2001).


Bien que cette loi de 1988 donne des pouvoirs considérables aux autorités, il demeure que les agissements doivent se faire dans le respect de la population, celle-ci étant protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, il est pertinent de s’interroger sur les dispositions qui ont amené le Premier ministre a évoquer cette loi.

Le gouvernement a expliqué ses diverses motivations dans la proclamation déclarant une urgence d’ordre public rédigée par le sous-ministre Simon Kennedy. Cette publication permit de faire de la lumière sur les arguments du gouvernement ainsi que sur les visées de la mise en place de celle-ci en termes d’intervention. Dans cette proclamation, le gouvernement va identifier certaines situations démontrant l’urgence de la situation comme les entraves à la circulation à divers emplacements au Canada (Ontario, Alberta, Colombie-Britannique et Manitoba), les menaces proférées par les instigateurs des barrages, les conséquences sur l’économie canadienne de bloquer le passage entre le Canada et les États-Unis et sur les relations avec le partenaire économique américain. De plus, les barrages risquaient d’entraîner des pénuries et surtout d’augmenter la tension et la violence mettant en danger la sécurité de la population canadienne (Kennedy 2022).

La proclamation prévoyait des mesures d’intervention telles que la réglementation ou l’interdiction d’assemblées publiques, de biens désignés servant au blocage et le pouvoir de désigner et aménager des lieux comme des infrastructures essentielles. Elle donnait également le pouvoir de forcer une personne à procéder à l’enlèvement, le remorquage et l’entreposage de structures servant au blocage en échange d’une indemnité pour les services. Elle accordait la possibilité d’ordonner de mettre fin au financement du blocage et d’exiger des services financiers la vérification des biens d’une personne participant au blocage (Kennedy 2022). Les contrevenants accusés ont alors été exposé à une amende maximale de cinq mille dollars et un emprisonnement maximal de cinq ans. (Canada 1988)

Divers éléments pertinents sont soulevés pour faire une analyse de la situation et de la décision, des points autant en faveur qu’en défaveur. L’utilisation de la loi peut être considérée comme étant excessive sachant qu’il n’y a pas réellement un danger pour la vie. Cependant, cela peut être considéré également comme une réelle prise en charge de la situation par le Premier ministre. Une autre perspective serait plutôt de voir le recours aux mesures d’urgence comme un échec politique de Justin Trudeau dans son incapacité d’avoir gérer la situation avant que les choses dérapent et que le convoi soit confortablement installé à Ottawa (Bordeleau 2022).

Pour conclure, il faudra attendre la fin des audiences de la commission Rouleau et la publication de son rapport final qui sera déposé à la Chambre des communes et au Sénat au plus tard le 20 février 2023 pour être en mesure de brosser un portrait final des actions du gouvernement du Canada à l’endroit des événements causés par le Freedom Convoy.


Sources :

Bordeleau, Stéphane. 2022. « Qu’est-ce que la Loi sur les mesures d’urgence? ». Radio-Canada, 14 février 2022. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1862104/utilisation-loi-mesure-urgence-premiere-fois-canada.

Canada. 1988. Loi sur les mesures d’urgence. Chapitre 22 (4e suppl.) à jour au 18 octobre 2022. Site Web de la législation (Justice). https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/e-4.5/TexteComplet.html.

Commission sur l’état d’urgence. « Mandat de la Commission » 2022. https://commissionsurletatdurgence.ca/%C3%A0-propos/mandat-de-la-commission/

Kennedy, Simon. 2022. « Proclamation déclarant une urgence d’ordre public : DORS/2022-20 ». Édition spéciale numéro 1, La Gazette du Canada, Partie II, volume 156. https://www.gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2022/2022-02-15-x1/html/sor-dors20-fra.html.

Rosen, Philip et Peter Niemczak. 2001. La Loi sur les mesures d’urgence. Ottawa : Division du droit et du gouvernement. https://publications.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/BP/prb0114-f.htm#COMMENTAIRE(txt).

Smith, Denis. 2013. « Loi sur les mesures de guerre ». L’Encyclopédie Canadienne. Toronto : Historica Canada. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/loi-sur-les-mesures-de-guerre#:~:text=La%20Loi%20sur%20les%20mesures,'invasion%20ou%20d'insurrection. Consulté le 9 novembre 2022.

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