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La crise économique et le consociationalisme : comment le Liban se retrouve sans président


Photo: République française, 2020


PAR THEODOR SAKR


Depuis octobre 2022, les élections libanaises reprennent lentement le pas. Après les élections des députés parlementaires en mai 2022, le président Michel Aoun du Mouvement Patriotique Libre (التيار الوطني الحر), quitte officiellement son poste. Les membres du parlement libanais ont ainsi la tâche d’élire le nouveau chef d’État. Plus difficile que prévu, plus de deux mois plus tard et le Liban n’a toujours pas de président officiel, avec le Premier Ministre Najib Mikati qui assume ses fonctions temporairement.


Pourquoi un pays qui, a priori, est démocratique, n’arrive-t-il pas à élire un président pour diriger le pays pour les 4 années à venir ? Plusieurs facteurs expliqueraient cet engrenage politique : primo, la crise économique d’un pays boursouflé par la corruption et le favoritisme; secundo, la situation politique du Liban qui, depuis la ratification des accords de Ta’if en 1989, se retrouve dans un régime consociationaliste des plus durs et ne semble pas fleurir; tertio, une promesse des blocs indépendant et réformiste qui n’a pas été tenue et qui replonge la crise parlementaire actuelle dans une spirale sans fin.


La crise économique : une crise qui retrouve ses origines depuis la Guerre du Liban


1990. Les banques du Liban, notamment la banque centrale et ses affiliées, sautent sur une occasion en or de remplir leurs poches. Elles mettent en œuvre un système de Ponzi à l’échelle nationale : les investisseurs (la majorité étant des citoyens libanais) se font promettre des taux d’intérêt extrêmement avantageux, allant jusqu’à 15%, parfois 20% (annuellement), à condition de placer leur argent dans des comptes d’épargnes à longue durée.


Août 2019. Le début de la crise se fait sentir alors que ces mêmes investisseurs souhaitent retirer leur argent, 30 ans plus tard. Les banques refusent, non pas par manque d’argent, mais plutôt par principe : si tout le monde était amené à retirer son argent en quelques semaines, les banques feraient faillite. Qui plus est, le « fresh money » – c’est-à-dire, l’argent en espèces – en dollars américains était limité et les banques ne pouvaient courir ce risque.


Des manifestations d’ampleur nationale ont alors lieu – les routes sont bloquées, les écoles et universités ferment – avec la population qui s’acharnait sur les rues de Beyrouth pour protester, non seulement contre les banques qui leur ont essentiellement volé leur argent, mais surtout contre le gouvernement de Michel Aoun. Il est important de noter que c’est le gouvernement qui contrôle et gère le budget de ces banques. La population se sentait trahie par un gouvernement qui aurait dû faire son travail, mais qui a choisi la voie de la corruption.


Un régime politique discutable : le consociationalisme religieux


Au-delà de la crise économique qui ravage le pays, le régime extrêmement sectaire du Liban nous aide à comprendre la situation actuelle. Le consociationalisme se concentre sur les identités divergentes, telles que l'ethnicité, les enracine dans les mentalités et les institutionnalise, plutôt que d'intégrer des identités telles que la classe sociale. En outre, il repose sur la coopération entre rivaux, ce qui est intrinsèquement instable. Enfin, le régime se concentre davantage sur les relations intraétatiques, et néglige les relations avec les autres États.


Le Liban fait partie des quelques pays qui ont un régime consociationaliste, mais son cas se complique alors que c’est un régime consociationaliste sectaire ethnoreligieux. La Guerre civile du Liban (1975-1990) était une des raisons qui a mené à la mise en place de ce régime, alors que les diversités religieuses deviennent la base de ce conflit. Après 15 ans de guerre, la communauté internationale ainsi que le Liban mettent un terme à la guerre civile avec la signature puis la ratification des accords de Ta’if à l’hiver 1989.


Dès lors, les sièges à l’Assemblée sont divisés entre Chrétiens et Musulmans – sans aller dans trop de détails, 64 sièges sont distribués à chaque confession religieuse, puis les sièges sont redistribués en fonction des sous-confessions (chrétien maronite, chrétien orthodoxe, musulman shiite, etc.). Les accords deviennent la solution à court terme, mais le sectarisme religieux se voit être la source de nombreux désaccords, notamment dans la politique actuelle. Il est effectivement difficile de gérer et diriger un pays lorsque le gouvernement est constitué d’un président chrétien maronite, d’un premier ministre musulman sunnite, et d’un chef d’Assemblée musulman shiite.


Les réformistes et les indépendants : une solution risquée ?


La particularité des élections libanaises de 2022 se trouvent dans le fait qu’il y ait tant de candidats de partis réformistes – ceux promettant de réformer le système politique sectaire actuel – et de candidats indépendants. Ces derniers sont nouveaux dans l’arène politique alors que ce sont surtout des civils ayant des carrières normales (médecin, ingénieur, présentateur de télévision, etc.) qui promettent de ne pas s’affilier à quelconque parti, ceux-ci étant corrompus, et de faire les choses à leur manière. Courant populiste qui gagne tant en importance qu’en popularité auprès des Libanais foudroyés par la crise économique, la pandémie, et l’explosion de Beirut en 2020, les élus indépendants peinent à se faire entendre à l’Assemblée, leur cause se fait entendre, mais freine les élections alors que les partis traditionnels ne les reconnaissent pas.


Michel Mouawad, président du Mouvement Indépendant (حركة الاستقلال) est en position de tête pour être élu, mais ce sont bien les partis traditionnels qui refusent de l’élire et choisissent de voter blanc, nul ou leurs représentants ne se présentent tout simplement pas à l’Assemblée. Après des années de désaccord, cela semble être la première fois que les partis traditionnels du Liban arrivent à s’entendre. Qui plus est, malgré le gain en popularité des partis réformistes et indépendants, l’appui populaire s’est vraisemblablement éteint. La promesse principale de ces partis était d’élire un président rapidement pour adresser la crise économique et remettre le pays sur le droit chemin. Pour l’instant, le peuple continue d’attendre.


3 facteurs principaux permettent d’expliquer le fait que le Liban se retrouve voilà plus de deux mois sans président. Essentiellement, la question se pose : un régime consociationaliste est-il une bonne option à long terme ? Pour le Liban, 30 ans de conflits intraétatiques et de crises politiques sembleraient dire qu’il faut considérer une réforme étatique totale – nouvelle constitution, nouveau chef d’État et potentiellement même l’appui d’un pays comme la France ou les États-Unis en guise de guide.




Sources :

Lebanese-Style Déjà Vu: The Case of Presidential Elections –https://timep.org/commentary/analysis/lebanese-style-deja-vu-the-case-of-presidential-elections/.

Lebanon elections: Initial results show a fractured parliament and bruised egos - https://www.middleeasteye.net/news/lebanon-elections-initial-results-fractured-parliament.

« Le FMI confirme officiellement la reprise des contacts avec le Liban ». L’Orient-Le Jour, 19 octobre 2021. https://www.lorientlejour.com/article/1278487/le-fmi-a-repris-les-negociations-avec-le-liban.html.

« Lebanese Central Bank Effectively Ends Fuel Subsidy ». Reuters, 11 août 2021. https://www.reuters.com/world/middle-east/lebanese-cbank-says-can-no-longer-subsidise-fuel-report-2021-08-11/.

« Explainer: Lebanon’s Financial Meltdown and How It Happened ». Reuters, 17 septembre 2020, sect. World News. https://www.reuters.com/article/uk-lebanon-crisis-financial-explainer-idUKKBN268223.

« Post-Taif Accord Developments in Lebanon ». Strategic Studies 25, no 3 (2005): 58‑82. https://www.jstor.org/stable/45242579.


Pour aller plus loin :

Clark, Janine A., et Marie-Joelle Zahar. « Critical Junctures and Missed Opportunities: The Case of Lebanon’s Cedar Revolution ». Dans Ethnopolitics, Vol. 14, 2014. https://doi.org/10.1080/17449057.2014.924659.


Farida, Moe, et Fredoun Ahmadi-Esfahani. 2021. "Corruption and Economic Growth In Lebanon". University of Sydney. https://core.ac.uk/download/pdf/6239186.pdf.


Leenders, Reinoud. « Spoils of Truce: Corruption and State-Building in Postwar Lebanon ». Cornell University Press, 2012. https://www.jstor.org/stable/10.7591/j.cttq438h

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