L’ONU, bonne à réformer ?
- Le Polémique
- 1 avr. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov. 2024

Par Lino JUHEL
L'Organisation des Nations unies (ONU), version améliorée de la Société des Nations proposée par le libéral Woodrow Wilson, régit les conflits internationaux par son impressionnante technocratie depuis 1945. Trop souvent réduite à son Conseil de Sécurité, elle est la cible de bien des critiques concernant ses blocages institutionnels, parfois à raison, mais reste foncièrement floue aux yeux de la majorité. Les rouages de ce géant bureaucratique basé à New-York sont aujourd’hui plus que jamais (sauf peut-être lors de la Guerre Froide) en pleine prise de conscience de la pression mise par la globalisation. Les avis divergent et se multiplient sur cette ONU que l’on dit trop vieille pour son temps et pour la régence d’une ère nouvelle. Or, pourquoi crions-nous à la réforme ? La question se pose en ce début d’année 2024, où au bout d’à peine quatre mois le sang de milliers d’individus a été versé, faisant probablement du mot ceasefire le plus prononcé dans l’hémicycle onusien, mais où nous avons également pu assister à une paralysie alarmante de l’organisation internationale la plus iconique de notre siècle et du précédent. Ainsi, admettons qu’une réforme ait lieu et qu’une ONU 2.0 prenne place, quelle trace laissera la version originale dans la mémoire commune ?
L’un des points clé et tragiquement connu dans l’histoire onusienne reste la plaie à peine fermée de la Guerre Froide. De fait, de 1945 à 1990, les droits de veto des membres furent utilisés 193 fois, comparativement à la période 1990-2007 où ils ne l’ont été que 19 fois. Il nous a alors été possible d’assister à une passivité onusienne consternante et n'apportant, au sens littéral du terme, quasiment aucun bénéfice à la communauté internationale.
Cependant, seuls, les plus sceptiques d’entre nous ne retiendront que ce triste événement pour caractériser la machine diplomatique qu’est l’ONU. En effet, si nous pensons chronologiquement, l’ONU fut efficace en 1950 dans la guerre des deux Corée en donnant aux États-Unis une autorisation d’intervention sur le territoire qui portera plus tard le nom de Corée du Sud, afin de repousser l’offensive chinoise et d’éviter une ingérence poussée par le bloc soviétique.
Ainsi, depuis 1989, plus de 85 opérations de maintien de la paix ont été mises en place, venant donner tort aux nombreux détracteurs de l’ONU qui l'accusent d’être « irrelevant ». L’ONU a également procédé à la création de ses « Casques bleus » pour appuyer ses missions de maintien de la paix sur le terrain, ces derniers ayant reçu seulement récemment la capacité d’user d’armes à feu.
Enfin, la majorité actuelle retiendra évidemment le rôle joué par l’ONU lors de la longue crise irakienne de 1990 à 2003. Nous retenons, en effet, la forte cohésion de la communauté internationale après l’annexion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein. On s’illustre souvent cette première guerre du Golfe par le succès de la coalition menée par les États-Unis, mais on ne pense pas assez souvent à l’ultimatum posé par le Conseil de Sécurité à Hussein en créant la résolution 678 donnant le feu vert à tous les états membres de l’ONU de faire usage « de tous les moyens nécessaires » pour rétablir la paix et la sécurité internationale au Koweït. Cette résolution a donc permis de couvrir un certain nombre de moyens militaires et non militaires, mais a surtout permis à la coalition onusienne de s’adapter à tout type de circonstances dans la région. Par ailleurs, l’ONU fut également capable d’exprimer la volonté de la communauté internationale, lorsque les Américains et les Britanniques décidèrent de partir en guerre une deuxième fois contre l’Irak, mais sans aucun autre soutien étant donné que le Conseil de Sécurité fut contre cette action, poussant alors les membres de la communauté internationale à désapprouver la coalition anglo-américaine.
Les performances en demi-teinte de cette organisation inquiètent cependant de plus en plus, notamment avec le conflit actuel entre Israël et Palestine. Ce qui pousse notamment António Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, à dire que « pendant la Guerre Froide, des mécanismes ont permis de gérer les relations entre les grandes puissances. Dans le monde multipolaire d’aujourd’hui, ces mécanismes font défaut. Ainsi, notre monde entre dans une ère de chaos. […] C’est une foire d’empoigne dangereuse et imprévisible, dans une impunité totale. ». De fait, le Conseil de sécurité s'est trouvé dans l'incapacité de répondre efficacement à l'invasion russe de l'Ukraine, principalement en raison du veto russe. De plus, il a rencontré des difficultés à exprimer une position unifiée concernant Gaza, avec les États-Unis opposant leur veto à toute proposition de cessez-le-feu.
Mais alors, faut-il réformer l’ONU ? La réponse est non, pas l’ONU globale, mais oui, pour son principal organisme : le Conseil de Sécurité. En effet, prononcer la phrase « les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU en 2024 sont les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, et n’ont pas changé depuis 1945 » n’est-il pas dérisoire ? Le Conseil de Sécurité, organe ayant le plus de pouvoir à l’ONU et donc sur la scène internationale, est probablement un des organes les moins représentatifs de l’organisation. La seule représentation d’autres pays que ces grandes puissances, occidentales pour la majorité, ont été effectuées en 1965, pour laisser la place à des membres non permanents à la suite des grands mouvements de décolonisation. Mais ce n’est pas suffisant pour un monde multipolaire comme celui de notre société, laissant de côté des puissances tant économiques que diplomatiques, comme l’Allemagne, le Japon ou l’Inde. Des régions comme l’Afrique, devenant de plus en plus importantes, ne sont représentées que par l’intermédiaire des membres non permanents qui changent tous les deux ans. Ainsi, si la question de l’usage des ressources naturelles africaines venait à remonter au Conseil dans plusieurs années, il serait nécessaire d’avoir un émissaire de la région au sein de ce dernier en tant que membre permanent.
Enfin, cette difficile réforme de l’ONU se porterait surtout sur un autre sujet : le droit de veto des membres du Conseil. Le Canada a exprimé son point de vue sur le veto qui le dépeint comme archaïque et inégalitaire. Mais, à l’évidence, les grandes puissances ne veulent ni céder ni partager leur droit si précieux. Mais faire s’asseoir face-à-face les représentants de la Chine, des États-Unis ou de la Russie et s’attendre à une solution face aux problèmes futurs, liés tant à la cybersécurité qu’à l’exploitation de ressources en Afrique ou même au populisme grandissant, est un doux rêve auquel toute personne réaliste ne peut s’attacher plus longtemps.
Pour conclure, il nous est possible d’affirmer que l’ONU est un organe essentiel sur la scène internationale par son pouvoir coercitif et contraignant dans l’horizon du maintien de la paix, mais que pour exercer ceux-ci, elle a besoin d’un coup de jeune pour affronter la nouvelle génération de leaders dans les décennies futures et garantir une expertise maximale dans ses prochaines résolutions. Cependant, il n’est pas pessimiste de dire que cette réforme sera complexe à faire accepter aux acteurs concernés et qu’elle ne pourra s’accomplir que par un long travail de collaboration et d’oubli de l’égoïsme étatique dans le but de former une communauté internationale « meilleure ».
Crédits Photo : Le Devoir - AFP
Sources :
Coulon, Jocelyn. À Quoi Sert Le Conseil de sécurité des Nations Unies ? Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2020.
Brahimi, Lakhdar. 2005. « L’ONU entre nécessité et minimalisme ». Politique étrangère, no 2 : 297‑311.
Malloch-Brown, Mark. 2021. « Éviter la mort lente de l’ONU ». Say, no 1 : 72‑75.
Védrine, Hubert. 2004. « Réflexions sur la réforme de l’ONU ». Pouvoirs, no 2 : 125‑40.
John, Baylis, Smith Steve, et Owens Patricia. 2011. « The globalization of world politics: an introduction to international relations ».
« Charte des Nations unies. Signée le 26 juin 1945 (Extraits) ». Après-demain N ° 35, NF (3) : 40‑41.