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Gaza sous le feu des bombes : L’Occident et sa politique de deux poids, deux mesures

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Par Narimane Hkm


Crédit photo : Mohammed Abed – Agence France Presse (11 octobre 2023 - Gaza)


Un conflit. Une guerre. Un génocide.

Autant de termes pour décrire une même violence, un même chaos qui semble diviser la scène internationale. Et pourtant, ce qui est divisé davantage, ce sont les standards mêmes de l’Occident. Face à la mort, les discours oscillent, se déforment, révélant un système où la valeur d’une vie semble dépendre de son origine ou de sa localisation. Pourtant, qu’importe que le cri provienne d’un enfant palestinien sous les décombres de Gaza ou d’un enfant ukrainien fuyant les bombes : le monde doit avoir une même dette morale envers chacun. Pour autant, une politique de deux poids deux mesures s’est imposée en Occident. 


Le 20 novembre dernier, les États-Unis ont une fois de plus opposé leur veto au Conseil de sécurité de l’ONU, torpillant une résolution appelant à un cessez-le-feu « immédiat, inconditionnel et permanent » à Gaza. Une répétition funeste : à nouveau, un veto américain bloque la paix ; à nouveau, les justifications pourraient être qualifiées d 'inexistantes.


Une hiérarchisation de l’empathie : Ukraine et Palestine 


Depuis le début des bombardements israéliens sur la bande de Gaza, plus de 184 000 vies ont été fauchées (incluant les morts indirects), des milliers d’enfants figurent parmi les victimes, et 1.9 million d’habitant.e.s ont été déplacé.e.s. Pourtant, une partie de l’Occident reste de marbre, continuant à soutenir un État dont les crimes sont flagrants et documentés.


Mais maintenant, remplacez « Israël » par « Russie », et laissez la mécanique s’enclencher. Des sanctions pleuvraient immédiatement, et la communauté internationale s’unirait dans une indignation sans faille, à juste titre. Mais alors, pourquoi un traitement si distinct lorsqu’il s’agit d’Israël ? Quelle protection divine semble préserver cet État de toute conséquence ? Les alliés d’Israël, drapés dans des principes de droits de l’homme, appliquent pourtant ces derniers avec une logique de deux poids, deux mesures, réservant leur compassion aux Ukrainien·ne·s tout en fermant les yeux sur les souffrances palestiniennes.


Lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Canada a immédiatement mis en place un programme d’accueil exceptionnel pour les réfugié.e.s ukrainien.ne.s, tout comme l’Union européenne, qui a activé pour la première fois son dispositif de protection temporaire. Mais lorsque les bombes israéliennes pleuvent sur Gaza, un silence opaque tombe sur l’Occident. Pas de couloirs humanitaires, pas de dispositifs d’accueil à grande échelle.


On se doit de souligner que l’accueil chaleureux réservé aux Ukrainien.ne.s est admirable et justifié. Il est naturel d’offrir un refuge à ceux qui fuient la guerre. Mais pourquoi ce même élan humanitaire ne s’étend-il pas aux Gazaouis ? Est-ce une question de proximité géographique, d’intérêts géopolitiques ou, plus sombre encore, de racialisation des crises ? En effet, il est difficile de ne pas voir là une politique de doubles standards qui cacherait un fond de racisme. Les réfugié.e.s ukrainien.ne.s, blanc.he.s et chrétien.ne.s orthodoxes, sont perçu.e.s comme s’intégrant « facilement », tandis que les Palestinien.ne.s, dépeint.e.s à travers le prisme du terrorisme, sont essentialisé.e.s. Un double standard soutenu par un discours structuré autour du champ sémantique de la différence, une différence ethnique, culturelle, identitaire et religieuse fondée largement sur une rhétorique raciste qui justifie cette inégalité, en opposant les « bons réfugiés », intégrables, aux « mauvais réfugiés », suspects par nature.


Cette hiérarchisation de l’empathie se reflète également dans les discours officiels. Lorsque la présidente de la Commission européenne qualifie les attaques russes privant les civils d’eau, d’électricité et de chauffage d’« actes de pure terreur », elle reste muette devant les privations similaires infligées aux Palestinien.ne.s. Lorsque la Russie est bannie des Jeux olympiques et frappée par des sanctions globales, Israël continue de bénéficier d’un soutien inébranlable. À l’Université de Montréal, alors qu’un ton affirmé et solidaire est adopté suivi d’initiatives en faveur des étudiant.e.s ukrainien.ne.s incluant des « bourses », des « offres d'emploi », et même l’illumination de « la tour du pavillon Roger-Gaudry aux couleurs du pays », les souffrances des Gazaouis ne font l’objet d’aucune mention explicite, invoquant une stricte neutralité politique de l’université.


Il ne s’agit pas là de remettre en question le soutien mérité aux Ukrainiens, mais d’interroger une empathie à géométrie variable qui, à quelques mois d’intervalle, expose des contradictions flagrantes dans les réponses occidentales sélectives, tout en proclamant des valeurs universelles.


Le silence coupable de l’Occident 


Une peur presque viscérale semble paralyser les voix qui pourraient condamner Israël, comme si cet État jouissait de la grâce divine. Le silence face aux crimes commis contre Gaza n’est pas une simple omission, mais une réelle position politique. Il est le miroir d’une trahison déguisée, reflétant l’abdication des valeurs universelles au nom d’intérêts personnels. 


Mais ce qui déçoit davantage, ce n’est pas tant la folie des actes que l’inaction de ceux qui se disent pour la paix. Du fond de leurs confortables bureaux, ces derniers clament une neutralité qui, face à des massacres délibérés, n’est qu’un masque dissimulant une indifférence glaçante. Mais de quelle neutralité parle-t-on, lorsque des bombardements réduisent des familles entières en cendres et fauchent sans discrimination hommes, femmes et enfants ? Quelle place accorder au droit international ?


L’Occident perd toute crédibilité, et le droit international tout respect lorsque Israël reste impuni alors que l'illégalité entoure tout ce qu’elle fait : occupation illégale de territoires, exécutions sommaires, blocus inhumain de Gaza, violations des résolutions de l’ONU et orchestration de la famine à Gaza. 


Car l’Occident, par son silence assourdissant, cautionne et alimente ces horreurs. Ce qui est plus dangereux encore que les actes eux-mêmes, c’est le silence de ceux qui en détournent le regard. 


Le mutisme occidental n’est pas une absence de position : c’est une posture complice. Pire encore, cette complicité passive se double d’un soutien actif, avec l’envoi d’aides militaires, s’élevant à des milliards de dollars. À ce soutien financier s’ajoute une rhétorique tout aussi meurtrière. Après le 7 octobre, une légitimation préventive de la violence israélienne s’est mise en place. Et on se souvient toujours des expressions « soutien total », « soutien sans faille », ou « soutien absolu » qui résonnent encore aujourd’hui, dressant un portrait héroïque d’un État qui aurait « le droit de se défendre ». Mais l’histoire ne commence pas le 7 octobre. Elle s’enracine dans des décennies d’injustice, de colonisation et d’oppression. Et la disproportionnalité de la riposte illustre bien qu’Israël dépasse largement la logique de légitime défense. Elle révèle une entreprise de nettoyage ethnique, comme l’a dénoncé Human Rights Watch.


Quand les mots déforment la réalité…


Pourtant, sur les plateaux télé, lorsque la question de la condamnation du meurtre de civils innocents est posée, les réponses divergent. Un « oui » catégorique est clamé pour condamner la mort d’Israélien.ne.s. Mais lorsqu’il s’agit de Palestinien.ne.s, on bégaie, on temporise. « Ce n’est pas la même chose », murmure-t-on, « c’est différent, on ne vise pas les civils ». Et Israël joue cette carte avec brio : un hôpital bombardé, le Hamas y a creusé des tunnels. Une école attaquée, c’est un centre de commandement du Hamas. Des enfants tués, ils sont utilisés par le Hamas comme bouclier humain. Un camp de réfugiés ciblé, le Hamas y est caché. La réalité est travestie, enveloppée dans des justifications qui déshumanisent chaque victime.


Cette manipulation s’étend à la presse, où le traitement des morts reflète une asymétrie flagrante. Malgré la disparité du nombre de victimes, les titres de journaux euphémisent la réalité des événements au bénéfice d’Israël. Alors que la voix passive est souvent utilisée pour décrire les crimes israéliens, les journalistes optent pour la voix active lorsqu’il s’agit de victimes israéliennes. 


Dans le premier cas, les crimes israéliens sont un euphémisme, effaçant la responsabilité de l’auteur du crime, tandis que la voix active humanise les victimes. Ce choix linguistique des organes de presse n’est pas neutre : il adoucit les violences et prépare l’opinion publique à accepter l’inacceptable. Dire que « des Palestiniens sont morts » n’a pas le même poids que de dire qu’« Israël a tué des Palestiniens ».


Cette déshumanisation des Palestinien.ne.s n’est pas uniquement une conséquence fortuite de la pseudo-guerre menée par Israël. C’est une stratégie active qui transforme des massacres en faits anodins. La rhétorique utilisée dans les discours des politicien.ne.s n’est nullement innocente, car les mots sont les fondations de la réalité historique des acteurs. Les discours israéliens, relayés par les politiciens occidentaux, recyclent l’argumentaire colonial qui a justifié des siècles de violences, car toutes les entreprises coloniales sont basées sur une rhétorique violente et surtout déshumanisante. En allant des « indigènes » en Amérique aux « sauvages » en Afrique, la mécanique reste la même : réduire l’autre à un non-être. 


Lorsque les hauts fonctionnaires israéliens déshumanisent les Palestiniens en les qualifiant d'«animaux humains », ou lorsqu’ils sont étiquetés de « terroristes ». Lorsque l'on parle de « conflit » au lieu de colonisation, de « guerre » au lieu de génocide, les mots deviennent des armes qui contribuent à déformer les rapports de pouvoir.  La guerre des mots n'est pas seulement une question de sémantique, mais une véritable stratégie politique. Chaque terme utilisé influence l'opinion publique et légitime certaines actions tout en en condamnant d'autres. L’expression « Israël a le droit de se défendre » efface des décennies d’occupation. Parler de « guerre » occulte le risque de génocide relayé par l’ONU. Dire « mort » au lieu d’ « être tué » exonère de toute responsabilité Israël. 


Dès lors, la question palestinienne devient une guerre terminologique où le langage lui-même est un champ de bataille. Car cette déshumanisation des uns au détriment des autres est le socle même de ce deux poids, deux mesures. Et c’est là que réside le problème : lorsque les morts ukrainiens émeuvent, tandis que les morts gazaouis ne sont que des statistiques, cela ouvre la porte à la hiérarchisation des souffrances qui expose un monde où certaines vies valent plus que d’autres. Lorsque, face à l’horreur, l'humanité détourne le regard, elle aura alors trahi son essence même.



Sources 

















 

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