Football mondial: État des lieux d'un système perverti
- Le Polémique
- 3 avr. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 déc. 2023

Photo: E Leanza.
Par Matthias Baptista
Le 24 novembre 2022, à la veille de la coupe du monde au Qatar, une résolution Européenne statuant sur la coupe du monde, définissait le football mondial à travers une « corruption encore endémique ».
La FIFA, qui atteignait l’objectif pharaonique de 6,44 milliards de dollars de revenus sur ces derniers 4 ans, nous rappelle le poids financier et culturel qu’elle constitue dans le monde. Ces revenus nous obligent à comprendre que le foot a un impact réel dans notre monde et nous lie de près ou de loin à son état.
Voyons ici, pourquoi le football peut être associé à la notion structurelle d’abus et comprenons les risques de s’attaquer directement aux problèmes apparents.
Il est peu probable que quelqu’un, dans un pays où la sélection nationale prenait part à la coupe du monde, ne sache pas que son organisation au Qatar a posé des questions morales importantes. La vie de milliers d’êtres humains, l’impact écologique et la répercussion financière auprès d’un régime autoritaire, nous a interpellé collectivement. Ces derniers mois, le Qatar a fait couler beaucoup d’encres et a particulièrement attiré l’attention du football mondial dans sa capacité d’organisation de la coupe du monde , faisant presque oublier tous les autres maux. Pour autant, la mise en lumière des problématiques engendrées par cet événement ne viennent pas de nul part. Elles sont intimement liées à un système complexe qui essaie de lutter face à des démons.
En 2015, le Fifa Gate éclatait et entrainait la chute de Sepp Blatter, président de la FIFA. Au total, 9 hauts responsables étaient inculpés pour racket, fraude, et blanchiment d'argent sur une période de 25 ans. C’était tout un système d’impunité qui était mis en lumière. Plusieurs coupes du monde ainsi que des contrats de marketing étaient directement mis en cause. A l’époque, l’espoir d’un football éthique naissait.
Pourtant à l’heure du bilan, seulement 3 accusés ont été condamnés, et pour l’instant la justice n’a pas déterminé de liens entre corruption et attribution de la coupe du monde au Qatar. Face aux espoirs, le Fifa Gate, n’a pas permis beaucoup de débouchés juridiques et n’a pas éteint l’impunité.
C’est d’ailleurs plus que cela. Depuis le Fifa Gate, plusieurs autres affaires de corruption ont mis en cause des dirigeants du football mondial, avec un système récurrent d’omerta. En 2020, par exemple, Ahmad Ahmad le président de la CAF, la confédération africaine de football, a été exclu par la Fifa pour une durée de 5 ans et a dû payer une amende de 185 000 euros pour détournement de fonds.
En 2019, ce n’est pas moins de 130 millions de dollars que la CONMEBOL, la confédération américaine du sud, récupérait dans sa lutte contre le détournement de fond.
Ici, la corruption comprend de larges systèmes, mêlant matchs truqués et dissimulations, et prend racine majoritairement dans les pays en développements.
La Fifa, chargée de réguler avec les instances juridiques nationales, est souvent au fait des affaires, et jouent de ses positions pour mener à bien des stratégies politiques. Selon les observateurs, il est opéré une mise en tutelle de certaines zones géographiques, particulièrement depuis la présidence de Gianni Infantino. Un placement irrégulier de soutiens est effectué par la haute gouvernance dans les postes clefs. Le but est de poursuivre une politique expansive à travers un réseau de soutiens solides. Pour Babacar Ndaw Faye, rédacteur en chef du site d’informations sénégalais Emedia : « Il y a un potentiel, mais tout le monde se sert du foot comme d’un outil d’influence. Le football est une source de pouvoir, une source de financement pour une bonne partie des dirigeants et il participe à la corruption des gouvernements. ».
Là où, la question abusive du football prend un autre chemin dans l’imaginaire collectif, c’est dans les cas d’abus sexuels. Pour peu que des malversations dans le football soient mises en avant dans l’espace médiatique, elles le sont majoritairement pour des questions de corruptions. Rarement la médiatisation existe pour des questions de violences sexuelles. Pourtant, le sujet des abus sexuels au sein de la formation des jeunes footballeurs et footballeuses est loin d’être minoritaire. Au sein des instances nationales de football, le sujet touche le monde entier. Une enquête indépendante, à la suite des scandales au sein de la National Women’s Soccer League, évoque dans ce sens des « inconduites sexuelles systémiques » alors que nous parlons ici, de la fédération féminine de football la plus titrée; C’est dire le problème structurel des violences sexuelles dans le monde du foot.
En mars 2022, Ed Aarons, Romain Molina et Suzanne Wrack, trois journalistes spécialisés dans les cas des violences sexuelles dans le sport, s’employaient dans les tribunes du Guardian, à faire un comptage des accusations d’abus sexuels des dernières années au sein des fédérations de football. Dans leur article, 18 fédérations, allant de l’Argentine au Zimbabwe, sont citées pour des cas d’abus.
Lors des dix dernières années, ce sont des fédérations entières qui sont tombées, comme celle du Gabon où il était question de pédocriminalité organisée. Récemment, c’est la fédération Islandaise, qui a aussi connu des démissions en cascade après avoir dissimulé de nombreuses violences. Cependant, ces cas de démantèlements sont rares face à la quantité d’affaires. Au comptage visible dans le Guardian, s’ajoute une liste encore plus grande de fédérations mises en causes pour les mêmes sujets mais sans conséquences. De grandes nations du football sont régulièrement impliquées par des témoignages de violences au long des cursus de formation mais rien ne se passe pour rendre justice. Face à cette récurrence des cas avérés ou suspicieux, la FIFA et les instances continentales sont accusées de ne pas suffisamment sévir, voire de participer à l’omerta en couvrant des cadres qui agissent dans la même impunité que celle visible dans la corruption. Ce n’est que cette année, lors, du congrès de la FIFA de février que l’instance, a décidé d’abolir la prescription disciplinaire en cas d’agression, qui était avant fixée à 10 ans. Cette avancée est minime face à l’ampleur du problème. La culture du secret, oblige un grand nombre de footballeurs et footballeuses victimes, à se soumettre au silence face à un système qui ne s’empare pas activement de la question.
Si les consommateurs du football ne sont pas forcément dérangés par le système actuel lié à l’abus, ils le sont ponctuellement quand les agissements financiers immoraux, mènent à de grands bouleversements contestés tels que cela a pu être le cas avec la coupe du monde au Qatar. Ils sont aussi pris d’un engouement général de contestation en Europe, lorsqu’il est question de créer une Super ligue, mettant en péril, les ligues nationales de football. La Fifa et les instances de gouvernances, sont en fait dans l’impunité habituelle jusqu'à ce que leurs agissements ne dépassent un plafond de verre dans l’acceptation générale. Il y a comme un double système entre l’officiel et l’officieux, accepté tant qu’il ne dérange pas trop le terrain directement. La corruption parfois, fait parler. Les abus sexuels couverts et trop réguliers, eux, font rarement les gros titres. Il est d’autant plus marquant que nous pourrions rajouter ici, d’autres abus comme la répulsion structurelle homophobe, le sexisme ambiant ou encore les problèmes à l’encontre du droit du travail.
Globalement nous constatons, que les abus dans le football ne sont pas en régressions, ne l’ont jamais été, et ne le serons pas tant que les grosses polémiques effacent le problème global : l’impunité.
Le Fifa Gate n’a pas fait diminuer le nombre de cas d’abus dans les différents domaines. Il est certain que la diffusion de l’information sert à lutter contre les malversations et met davantage en lumière les problèmes. Cependant, il est important de ne pas nous faire avoir par la place que prend la polémique du Qatar, en oubliant que le football mondial continue de souffrir d’autres maux. Surtout ne laissons pas le football retourner à ses abus, en délaissant les autres problématiques, et en délaissant le suivi de l’affaire. Il serait par ailleurs dangereux de vouloir simplifier le problème. Le Qatar est le résultat d’une imputabilité collective.
Pensons, cette réalité, à travers la surmédiatisation du football, comme un moyen d’alerter sur les pratiques fermées du sport. En effet, le football est loin d’être le seul sport victime des agissements de la part de ses gouvernants.
Dans la finalité, entendons ces sujets, comme des limites des systèmes privés à visée publique, pour les réguler au maximum en s’attaquant à la base des problématiques. Prônons une justice fiable. Espérons collectivement davantage de contre-pouvoir interne et de transparence. Demandons que les cycles médiatiques de malversation mènent à de réels débouchés juridiques. Attendons que le foot, le beau jeu par excellence, continue de nous faire rêver, et encore plus par son avancée structurante dans ses gouvernances et sa formation. Le football est dépendant de ses spectateurs. Visons alors, un nouveau cycle, qui devra passer par une investigation forte, mais aussi par un relai éclairé et global des différents types d’abus. Parce que ponctuellement nous ne pouvons pas dénoncer et la majorité du temps faire comme si de rien n’était, en laissant l’impunité continuer.
Sources:
https://www.statista.com/topics/2350/fifa/