Faut-il dissocier l'œuvre de l'artiste ? Film « Le Consentement » : retour sur la polémique
- Le Polémique
- 31 oct. 2023
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov. 2024
Par Alix Beaupré
Elle avait 14 ans, il en avait 50 : c’est l’histoire que raconte Vanessa Filho dans son film « Le
consentement », adapté du témoignage poignant de Vanessa Springora. Cette adaptation cinématographique, à l’affiche depuis le 11 octobre 2023, plonge le spectateur dans une romance troublante, celle d’un écrivain français de renom, Gabriel Matzneff et d’une adolescente en quête
d’identité, Vanessa Springora. Le film évoque les séquelles laissées par cette relation, et accuse
également la société, plus particulièrement le monde littéraire d’avoir choisi d’ignorer les actes de
l’écrivain pendant trop longtemps. C'est lorsque l’on aborde le rapport entre l'œuvre et l’auteur que
cette controverse devient intéressante, en se demandant notamment si l’on peut et si l’on doit, dissocier l'œuvre de l’artiste ?
Pour répondre à cette question complexe, il est nécessaire de recontextualiser cette relation. En effet, la liaison entre Gabriel Matzneff et Vanessa Springora a débuté en 1986. Cet amour, marqué par une
différence d’âge conséquente et par un déséquilibre de pouvoir important, est coutume pour G.Matzneff. En effet, l’attirance de G.Matzneff pour les jeunes filles et garçons était déjà bien connue, car il ne s’en cachait pas. Par exemple, dans son ouvrage « Les moins de seize ans » paru en 1974,
Matzneff se livre à un déni sans limite de la pédophilie. Aussi, en 1990, dans l’émission «Apostrophes»,
dans laquelle G.Matzneff est l’invité, tout le monde semble séduit par les paroles et la présence de ce
dernier, et seule l’écrivaine canadienne, Denise Bombardier, s’insurgera des actes de l’écrivain. Elle en
viendra même à dire « Dans ce pays, la littérature, entre guillemets, sert d’alibi à ce genre de
confidences » et elle comparera Matzneff et sa réputation au « Monsieur qui attire les petites filles avec des bonbons ». Les dires de cette écrivaine ont resurgi sur la toile lors des révélations de V.Springora et lors de la sortie du film de V.Filho. Ils ont alors conduit de nombreuses personnes à remettre en question les actes de l’auteur, divisant le public.
Un premier argument prétend que l’art est distinct de l’artiste. En effet, de nombreuses œuvres sont le
fruit d’expériences, d’émotions et parfois de l’adversité, les plus personnelles de l’artiste. De plus,
l’histoire de l’art regorge d’exemples d’artistes considérés comme problématiques, mais qui ont
néanmoins produit des chefs-d’œuvre. Alors, en boycottant un auteur en raison de ses actions, on renie tout le génie artistique, et on repense le monde et l’histoire artistique depuis ses débuts.
D’autre part, promouvoir le travail d’un artiste, c’est aussi, dans une certaine mesure, normaliser et
légitimer ses actions. Par conséquent, la notoriété et le succès seraient des passe-droits. Dans le cas de Matzneff, certains de ses écrits sont très explicites, et semblent glorifier ses actes pédophiles. Seulement son statut d’auteur renommé, lui permet d’éviter toute forme de critique morale ou juridique.
Ainsi, il conviendrait de dire que la réponse est subjective. Néanmoins, il faut avouer qu’une œuvre
s’inscrit toujours dans une période, dans un contexte et varie selon les expériences personnelles des
individus. Pour Matzneff, son écriture, même si elle témoigne de son talent, démontre aussi ses actions répréhensibles. Il est alors essentiel de pouvoir apprécier l’art tout en gardant une perspective objective. En outre, dissocier complètement l’artiste de son œuvre est peut-être difficilement applicable dans son ensemble, mais cela ne veut pas dire qu’il faille ignorer les transgressions de l’artiste.
L’affaire Matzneff soulève alors la question des limites de la permissivité artistique. Reconnaître le talent d’un auteur n’est pas considéré comme un crime en soi, mais louer les actes pédophiles de celui-ci revient à accepter ses actions sous prétexte du génie artistique, ce qui est légalement et moralement inacceptable. Par conséquent, le débat sur la dissociation entre l’artiste et son œuvre n’est pas encore clos, mais ce qui est certain, c’est que le courage dont a fait preuve Vanessa Springora a conduit à une discussion nécessaire sur la responsabilité éthique et morale du monde artistique et littéraire.
Crédit Photo : Le consentement/ MF/ WP
Sources :