Coup d'État au Niger : le rejet de la France ménage-t-il de la place pour la Russie ?
- Le Polémique
- 1 oct. 2023
- 4 min de lecture
Par Kalya Nzesseu
Le 26 juillet 2023, le Niger est le troisième pays de la région du Sahel à connaître un coup d’État depuis 2020. Comme au Mali et au Burkina Faso, les sympathisants des putschistes dénoncent la présence militaire française. Une situation qui permet à d’autres acteurs d’étendre leur influence dans la région. La récente annonce du départ des troupes françaises du Niger est notamment venue relancer les débats sur la place de la Russie et de la milice Wagner en Afrique de l’Ouest. Le retrait de la France ménage-t-il de la place pour la présence russe au Sahel ?
La Russie en Afrique : quelle réalité ?
Le sentiment pro-russe n’est pas une nouveauté sur le continent africain. Durant la Guerre Froide, l’URSS — qui se présentait comme une puissance anti-impérialiste — a noué des partenariats étroits avec plusieurs pays africains et a soutenu leur lutte d’indépendance. L'URSS a ainsi formé de nombreuses élites africaines. Au Niger, par exemple, Abdou Moumouni Dioffo, l’un des membres fondateurs du Parti Africain de l’Indépendance, fut le premier professeur africain agrégé en sciences physiques après avoir étudié en URSS. Moscou profite donc de ce passé pour rappeler que la Russie n’a jamais été une puissance coloniale en Afrique. Au contraire, en janvier 2022, Evgueni Prigojine, homme d’affaires proche du Kremlin et fondateur du groupe paramilitaire Wagner présentait le coup d’État au Burkina Faso comme “une nouvelle ère de décolonisation”.
Aujourd’hui, la Russie multiplie les intérêts économiques en Afrique. Les entreprises russes sont très actives dans le domaine des hydrocarbures, notamment au Maghreb mais également en Afrique subsaharienne dans le secteur miniers et métallurgique ainsi que dans le nucléaire. Donc, le retour de la Russie en Afrique est, à l’origine, commercial : elle vient vendre son blé qui représente 30% des exportations russes, et surtout chercher les matières premières dont elle a besoin.
Toutefois, lorsque l’on parle de la présence russe en Afrique, on ne peut pas passer à côté de sa composante sécuritaire symbolisée par les mercenaires du groupe Wagner. Présents surtout en République centrafricaine, au Mali, au Soudan et en Libye, ils proposent leurs services paramilitaires en échange de concessions minières ou de l’accès à des ressources naturelles. Cependant, ils sont accusés par l’ONU et plusieurs ONG d’être responsables de violence à l’égard des civils et de violations flagrantes des droits humains au Mali et en République centrafricaine.
Une guerre informationnelle contre la France ?
La stratégie russe au Sahel repose également sur une autre composante essentielle : sa capacité d’influence. Le sentiment anti-français dans la région profite à la propagande russe qui passe principalement par deux canaux de diffusion : l’expansion de la diplomatie publique médiatique russe et les entrepreneurs d’influence privé. D’une part, les réseaux RT et Sputnik affichent une position “alternative” et se disent opposés aux médias occidentaux “dominants”. Ils s’appuient notamment sur les discours panafricanistes et décoloniaux. D’autre part, plusieurs entrepreneurs privés contribuent à renforcer l’influence de la Russie par leurs actions. Les ramifications du réseau Prigojine font figure de proue en la matière en soutenant des activistes se réclamant d’une vision radicale du panafricanisme et en finançant des médias locaux.
La stratégie d'influence russe s’appuie sur une hostilité grandissante envers la France. Elle agit sur un terrain déjà propice aux frustrations face à l’échec de la lutte contre le terrorisme et au rejet des discours paternalistes de la France. La plupart des élites françaises ont échoué à comprendre l’Afrique (cf le discours de Dakar de Sarkozy) et le côté “donneur de leçon” de Paris a contribué à ce que les putschistes se tournent vers d’autres partenaires comme la Russie ou la Chine. La Russie n’est pas à l’origine du sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest. Il trouve ses racines dans des accords de coopération inégaux, des stratégies incohérentes dans la région, un certain mépris de la classe politique française et toute une histoire commune, notamment la découverte des crimes coloniaux par la jeunesse. Mais, la propagande russe s’en nourrit largement ; par exemple, en discréditant l’armée française et en encensant les mercenaires de Wagner dans des dessins animés, diffusés sur les réseaux sociaux, qui présentent la France comme une puissance impérialiste qui pille le continent, et dont on soupçonne Prigojine d’être à l’origine.
Se faisant, Moscou remet l’Afrique au cœur d’un conflit idéologique. Les investissements russes au Sahel visent aussi à renforcer la position de la Russie dans sa lutte contre l’ordre international occidental. Vladimir Poutine tente ainsi de gagner des alliés afin d’avoir leur appui lors des votes à l’ONU. En mars 2022, plusieurs pays de la région se sont abstenus de signer la résolution condamnant les actions russes en Ukraine.
Ainsi, les pays du Sahel vont-ils complètement se tourner vers la Russie ? Pour l’instant, la présence du groupe Wagner est avérée au Mali, en Centrafrique et au Soudan. Après le départ des troupes françaises, le Burkina Faso a également opéré un rapprochement avec la Russie face à une recrudescence du terrorisme sur son sol tout comme le Niger où les militaires ont récemment demandé l’aide du groupe militaire face à une potentielle intervention de la CEDEAO. Moscou a donc la capacité de combler un vide sécuritaire dans la région. Toutefois, les Etats-Unis sont encore présents et la France pourrait encore inverser la situation en changeant de stratégie de coopération et en renégociant les accords commerciaux qui posent problèmes comme c’est le cas en Guinée. L'entièreté des sociétés africaines ne rejettent pas la France. Beaucoup aspirent seulement à plus d’équité avec l’Occident. Le but n’est pas de remplacer un maître par un autre mais de trouver un terrain d’entente pour développer des partenariats plus équitables.
Crédit Photo : NYT
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