Conflit au Tigré : L’ombre d’une guerre méconnue
- Le Polémique
- 1 avr. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov. 2024

Par Nedjy Loute Celestin
Le conflit au Tigré est une guerre civile qui éclate en novembre 2020 dans cette région montagneuse située au nord de l’Éthiopie. Elle oppose les forces fédérales au Front de libération du peuple du Tigré (FLPT). Amnesty International qualifie ce conflit de « guerre silencieuse » en raison du manque total d'attention des médias et des organisations internationales. Une guerre quasiment méconnue, mais qui n'en demeure pas moins aussi meurtrière que les grands conflits qui occupent l’espace médiatique. Cet article a pour but de faire le bilan de ce conflit très peu connu depuis ses débuts en 2020 à aujourd’hui, en mettant l’emphase sur les enjeux humains qui sont en cours.
Le début
Le FLPT, parti politique originaire du Tigré, a longtemps dominé la scène politique éthiopienne. Mais l’arrivée au pouvoir du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, à signer la fin de leur règne. Ce dernier est élu sous l’emblème de la formation OPDO, un parti originaire de la région d’Oromo, qui remettait en question la légitimité du FPLT et du peuple tigréen qui était représentée dans le gouvernement, par rapport au faible pourcentage de 6 % qu’il représentait dans la population. Et surtout, il remettait en question le principe du fédéralisme ethnique instigué par le FPLT dans les années 90 et sous lequel se base le partage du territoire et du pouvoir en Éthiopie. Après avoir refusé de faire du Parti de la prospérité (PP), une nouvelle formation politique qui devait faire la coalition entre les principaux partis régionaux, les anciennes élites politiques se sont graduellement retirées dans la région de Tigré. Ces derniers s’installent en maîtres régionaux, surtout dans les grandes villes du Tigré comme Mekele, en ne cachant pas leurs prétentions indépendantistes, ce qui alimente les tensions avec le gouvernement fédéral. Les choses se corsent à la suite de deux événements : d’abord l’organisation des élections dans cette région par le FLPT alors même que ces derniers avaient été reportés par le gouvernement en raison de la COVID-19. Des élections qui se soldent par la victoire de la FLPT avec 98 % des voix. Ensuite, l’attaque d’une caserne fédérale par les forces militaires tigréennes. Ces événements servent alors de prétexte au Premier ministre pour légitimer le déploiement de troupes militaires au Tigré pour faire la guerre au FPLT qui, d’après lui, est une organisation terroriste qui menace l’unité de la nation.
Déroulement du conflit
En novembre 2020, les forces fédérales lancent une offensive visant à déloger les forces armées du FLPT. Celui-ci est soutenu par l’Erythrée, pays voisin, et les forces amharas, territoire voisin du Tigré. Ces derniers ont profité de cette offensive pour régler leurs différends avec le FLPT, notamment parce que le FLPT s’était opposé à l’indépendance de l'Érythrée et l’Amhara était en conflit territorial avec le Tigré. Quelques heures après que l’attaque ait été lancée, le gouvernement a coupé court à toutes les communications ainsi qu’à l’accès au territoire, une tactique qui a permis de couper la région du reste du monde. C'est pourquoi peu d'observateurs extérieurs furent au courant des véritables défis humains en jeu. Le peu de ce que l’on connaît du début du conflit a été documenté par Amnesty International et le bilan est conséquent. De nombreux cas de viol, de massacres en masse et de destruction d’infrastructures ont été reportés par ce dernier et ceci dans les deux camps. Cette guerre est une catastrophe humaine et plusieurs des actes commis par les deux armées constituent des crimes de guerre.
En effet, ce sont les civils non-armés qui sont les véritables victimes de ce conflit. D’abord, Amnesty International rapporte que les armées se servent de tout type de violences sexuelles, incluant des viols en réunion, de l’esclavage sexuel, des mutilations sexuelles et des grossesses forcées comme arme de guerre. D’après l’ONG, ces violences sexuelles ont pour but la torture physique et psychologique des victimes afin de les humilier et de les traumatiser à vie. Ensuite, cette guerre affame des milliers de personnes à cause du blocus imposé par le gouvernement fédéral et des infrastructures agricoles qui ont intentionnellement été détruits pour affamer la population locale. Les répercussions se font sentir dans tout le pays puisqu’on estime que 29,7 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire. On compte aussi des milliers de déplacés et de réfugiés autant à l’intérieur du pays qu'à l’extérieur, dont 61 000 personnes au Soudan. Pour finir, les massacres de masse ont pris pour cible les civils non-armés, dont le massacre à Mai-Kadra où une centaine de personnes ont été tuées à coups de couteau et de machette, le massacre d’Aksoum où les forces érythréennes ont ouvert le feu dans les rues et fouillé toutes les maisons, ainsi que le massacre dans les montagnes perpétré dans un village au nord du Tigré, Edaga Hamus, le jour de la fête orthodoxe de Tsion Maryam. Ces massacres ciblant une ethnie particulière, les Tigréennes et Tigréens, Amnesty International les qualifie de nettoyages ethniques. Le conflit dépasse alors le cadre d’un simple affrontement entre des forces armées, c’est une véritable crise humanitaire.
Aujourd’hui
Un cessez-le-feu a été conclu en novembre 2022, entre le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), mais les violences ont continué. L’ONU a ouvert une enquête sur les crimes qui auraient été commis en 2022. Enquête auquel se sont opposées les autorités fédérales. Selon le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 2,9 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Éthiopie et plus de 141 000 se sont réfugiés dans les pays voisins. Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies et l’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development, USAID) ont arrêté l’aide alimentaire en mars 2023, car elle était détournée et revendue, ce qui a accru les problèmes de famine. Ainsi, le gouvernement continue de museler les médias et empêche les institutions indépendantes telle que la justice de se pencher sur les cas de crimes de guerre et de droit de la personne. Tout cela avec toujours peu de réactivité de la part des médias internationaux qui ne couvrent pas ou peu cette crise humanitaire au Tigré.
Crédits : Amnesty International
Sources :